Un bitume plus adhésif… et irritant!

Par Laurie Noreau

17 février 2020

Printemps 2020, vol. 33/1

Pour augmenter l’adhésivité du bitume au gravier, on doit parfois y ajouter des additifs chimiques. cependant, ces additifs ne semblent pas sans risque puisque des travailleurs se plaignent d’irritation des yeux et du système respiratoire lorsqu’ils utilisent ce type de bitume.

En circulant sur une route fraîchement pavée par une chaude journée d’été, on peut parfois observer des fumées s’échappant de la chaussée. Ces fumées d’asphalte sont constituées de fines particules qu’absorbent la peau et les voies respiratoires des travailleurs. Les effets de ces substances sur la santé sont plutôt bien documentés. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a d’ailleurs classé comme possiblement cancérogènes pour l’humain les émissions de bitume que dégagent les activités de pavage.

On en connaît toutefois peu sur la toxicité d’un nouveau type de bitume de plus en plus utilisé : le bitume haute résistance au désenrobage avec dope d’adhésivité. Il contient des additifs chimiques permettant de maximiser son adhérence au gravier pour former l’asphalte posée sur la chaussée.

Des plaintes de travailleurs qui manipulent ce bitume ont été répertoriées. Maux de tête, nausées, étourdissements, irritation des yeux et des voies respiratoires : y aurait-il un lien entre ces additifs et leurs maux?

Simon Aubin, professionnel scientifique à la Direction des laboratoires de l’IRSST, et son équipe de recherche ont voulu faire la lumière sur ce phénomène. En laboratoire, ils ont caractérisé les composés chimiques trouvés dans les fumées de trois bitumes contenant des additifs chimiques reconnus pour augmenter l’adhésivité.

L’étude des fumées de bitume contenant des additifs a mis en évidence des composés spécifiques. « Pour un même bitume, ces substances n’apparaissaient pas dans celui sans additif, alors que leur présence était observée dans le bitume contenant des additifs chimiques », explique le chimiste et hygiéniste industriel. Une vingtaine de composés différents, dont plusieurs étaient communs aux trois additifs étudiés, ont été préalablement identifiés. Par la suite, 10 d’entre eux, ayant des effets irritants documentés, ont été retenus pour procéder à l’étude comparative. Les composés sélectionnés étaient aussi de bons indicateurs de la présence de plusieurs autres de la même famille.

Des valeurs sous la limite, mais…

Les concentrations de chacun de ces composés ont été mesurées lors d’essais de génération contrôlée en laboratoire. Force fut de constater que, lorsque comparée aux valeurs limites d’exposition professionnelles, la concentration d’aucun d’entre eux ne les dépassait. Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence. « En aucun cas les concentrations mesurées en laboratoire ne constituent une mesure de l’exposition professionnelle. Sur le terrain, les résultats peuvent être complètement différents. Cela signifie toutefois que les composés sont présents et que les additifs contribuent de façon significative à la composition des fumées émises », nuance Simon Aubin.

Toutefois, l’un des composés a particulièrement attiré l’attention des chercheurs : la pipérazine. Abondamment étudiée, cette substance présente une toxicité certaine. Elle a été trouvée en plus forte concentration parmi les 10 composés sélectionnés par l’équipe de recherche et est reconnue comme étant irritante.

Dans les essais en laboratoire, l’un des bitumes présentait une concentration de pipérazine avoisinant la valeur limite d’exposition. Il a donc été choisi pour déterminer l’effet potentiel d’un changement de paramètres sur la composition des fumées.

L’équipe de recherche a fait varier la source lumineuse, la température et l’humidité de l’air. Comme prévu, une hausse de température a produit une augmentation du nombre de particules, les procédés à chaud générant un niveau de particules ultrafines plus important. Les modifications de la luminosité et de l’humidité n’ont pas eu d’effets significatifs en laboratoire. Il pourrait en être tout autrement en milieu de travail, prévient Simon Aubin. « Quand nous irons faire les prélèvements sur le terrain, tous les paramètres environnementaux seront évalués. Peut-être auront-ils une incidence sur les résultats, ce qui expliquerait certains constats. »

Des prélèvements fumants

Pour valider les résultats obtenus en laboratoire, les chercheurs se sont rendus à une usine d’enrobage utilisant l’un des bitumes étudiés. Ils ont ensuite effectué des prélèvements près d’une ouverture où le bitume est chauffé. En appliquant la même méthode d’échantillonnage et d’analyse qu’en laboratoire, ils ont constaté que les concentrations en usine sont du même ordre de grandeur, voire plus élevées que celles obtenues en laboratoire. De plus, les composés prédominants en laboratoire étaient aussi les plus présents dans les fumées mesurées en usine.

Encore une fois, l’équipe de recherche ne spécule pas sur les concentrations supérieures obtenues sur le terrain. « On voulait simplement voir si l’on détectait ces composés. Comme ce fut le cas, cela confirme la validité de l’étude et la pertinence de nos démarches », affirme Simon Aubin. Cela révèle également que la présence d’additifs dans les bitumes étudiés pourrait effectivement augmenter le potentiel irritant ou sensibilisant des fumées d’asphalte pour les travailleurs.

L’approche en laboratoire étant validée, la prochaine étape consiste à mesurer l’exposition des travailleurs à ces composés. Cette nouvelle étude serait menée sur des chantiers où des travaux de pavage sont effectués et où il serait possible d’effectuer plusieurs types de prélèvements de façon, notamment, à tenir compte des conditions environnementales. Ce n’est qu’au moyen de ces mesures d’exposition que l’on pourra déterminer si les travailleurs sont exposés significativement à des fumées d’asphalte plus irritantes lorsque le bitume contient un agent dopant qui augmente l’adhésivité au gravier.

Pour en savoir plus

AUBIN, Simon, Mélanie HUARD, Mélodie BONIN, Charlotte FORTIN-LECOMPTE. Caractérisation des émissions de bitume haute résistance au désenrobage (HRD) avec dope d’adhésivité, R-1063, 80 pages.

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