Transformer le granit sans compromettre sa santé
Par Laurie Noreau
23 octobre 2019
Au Québec, les comptoirs de granit et de quartz ont la cote. Plus de 200 entreprises se consacrent à la transformation de ces matériaux, qui peuvent alors générer des poussières indésirables, dont la silice cristalline, à laquelle sont exposés les travailleurs qui ont comme tâche de les polir.
Des options existent et s’offrent aux travailleurs. Un guide, coproduit par la CNESST et l’IRSST en 2010, présente les principes de base permettant de réduire l’exposition des travailleurs à la silice cristalline dans le secteur de la transformation du granit et autres matériaux contenant du quartz. Toutefois, il fallait obtenir des connaissances supplémentaires sur la caractérisation des moyens de contrôle de la poussière de silice cristalline émise lors des opérations de polissage à sec et humide. Une équipe de recherche de l’IRSST s’est donc penchée sur la question.
Les risques liés à l’exposition à la silice cristalline sont bien documentés. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) considère d’ailleurs cette particule comme cancérogène pour l’humain. Elle est aussi responsable de la silicose, une maladie qui se traduit par une réduction progressive et irréversible de la capacité pulmonaire. Devant ces constats, il est justifié de poursuivre des recherches afin de limiter l’exposition des travailleurs aux poussières contenant de la silice cristalline. Ali Bahloul, chercheur à l’IRSST, a déterminé des moyens pour restreindre les poussières émises lors de la transformation du granit, en évaluant différentes mesures d’ingénierie de prévention visant à réduire l’exposition en laboratoire. Avec son équipe, il s’est d’abord affairé à comprendre comment elles sont générées et dispersées afin de proposer des solutions tenant compte des réalités du secteur qui traite ces matériaux.
Une question de vitesse
Pour produire un polissage efficace, l’outil abrasif doit tourner à une grande vitesse. Cependant, une vitesse accrue génère plus de poussières, lesquelles sont difficiles à capter. Comment combiner la santé des travailleurs avec un fini de surface satisfaisant ? Après avoir testé plusieurs vitesses, une rotation de 1 500 tours par minute s’est révélée le meilleur compromis. « À l’aide d’un microscope électronique, nous avons pu observer qu’au-delà de cette vitesse, des brisures se créent sur la surface du granit. De grandes vitesses de polissage peuvent donc affecter le fini de surface en plus de générer beaucoup de poussières », constate Ali Bahloul.
Parmi les autres paramètres étudiés, l’équipe de recherche s’est aussi intéressée au polissage humide. De plus en plus d’industries utilisent cette technique pour rabattre la poussière au sol et éviter qu’elle se disperse. Des essais en laboratoire ont effectivement démontré que la concentration dans l’air des particules de grosse taille et d’une partie des particules fines diminue sous l’impact des jets d’eau. Toutefois, cela a peu d’effets sur les particules ultrafines qui sont les plus nocives pour la santé. « Le polissage humide ne règle qu’une partie du problème. Il faudrait donc le combiner avec une solution qui agit sur les particules ultrafines », remarque le chercheur.
Trois concepts évalués
Parmi les possibilités permettant de réduire les émissions de particules à la source, trois concepts ont été retenus. Afin d’éviter l’exposition à ces poussières, des tests ont été réalisés en laboratoire avec une machine-outil qui simule le polissage qu’effectue un travailleur. Cette technique a permis d’observer l’efficacité des concepts sur une surface de granit plane, mais pas sur les coins et les côtés. Les essais sur le terrain en donneront une meilleure idée. Néanmoins, les trois concepts ont procuré une réduction des émissions supérieure à 95 %.
Le premier concept, le soufflage-aspiration, combine une hotte d’aspiration avec un procédé de soufflage qui oriente le contaminant vers elle. Il s’est avéré inefficace à de faibles débits, mais son efficacité a cependant augmenté d’un seul coup à partir d’un certain débit. Les deux autres concepts, soit le carter d’aspiration et les fentes d’aspiration intégrées au disque, fonctionnaient au moyen d’un système incorporé à l’outil. Dans leur cas, l’efficacité a augmenté au fur et à mesure que le débit d’aspiration amplifiait. Par la suite, deux de ces concepts ont été soumis à une simulation numérique. La comparaison des modèles expérimentaux et virtuels a révélé qu’ils étaient en adéquation. La mise au point de ce logiciel offre donc une possibilité intéressante permettant de modifier les paramètres et de prédire des comportements, sans nécessiter d’expérimentation.
Cette étude a également été l’occasion de vérifier l’efficacité de l’utilisation de gaz traceurs pour simuler le comportement des particules dans l’air. En laboratoire, les résultats obtenus se sont révélés comparables à ceux des particules soumises à de grandes vitesses de rotation. Ces gaz pourront donc être utilisés à la place des particules pour attester l’efficacité du système sur le terrain. Jusqu’ici, les chercheurs ont mené leurs expérimentations uniquement en laboratoire pour comprendre les processus de dispersion de la poussière et proposer les outils appropriés. Ces concepts seront appliqués en milieu de travail afin de déterminer lesquels sont les mieux adaptés à l’industrie. « Avant d’émettre des recommandations au secteur de la transformation du granit à la suite de notre recherche, il faut confirmer nos observations sur le terrain et s’assurer que les solutions sont satisfaisantes », rappelle Ali Bahloul.
Pour en savoir plus
BAHLOUL, Ali, Rafael Francisco VANTERPOOL JORGE, Abdelhakim DJEBARA, Victor SONGMENE, Mohamed Neijib SAIDI, Jules KOUAM, Marcelo REGGIO, Fernando VILLALPANDO. Transformation du granit – Caractérisation et contrôle de la poussière de la silice émise par le polissage, R-1054, 115 pages.
CNESST, IRSST. Prévention de l’exposition des travailleurs à la silice – Guide des bonnes pratiques, 18 pages.