Réduire les risques en espace clos

Une équipe de recherche composée de membres de l’IRSST et de Polytechnique Montréal s’intéresse aux moyens qui occupent le haut de la hiérarchie de réduction du risque des interventions en espace clos.

Les espaces clos sont monnaie courante dans les milieux de travail au Québec. La CNESST estime que 16 000 établissements et 1 000 municipalités gèrent de tels espaces, totalement ou partiellement fermés, dont des cuves, des puits d’accès et des canalisations. Bien que les espaces clos ne soient pas conçus pour être occupés par des personnes, il faut parfois y pénétrer — par une voie restreinte — pour des raisons d’inspection, de maintenance et parfois de fabrication. La main-d’oeuvre affectée à ces tâches s’expose à divers risques pour sa santé et sa sécurité, ce qui peut occasionner des accidents, parfois fatals. Se fondant sur des rapports d’enquête d’accidents graves et mortels de la CNESST, l’équipe de recherche a recensé une moyenne annuelle de 2,6 décès en espace clos de 1998 à 2017.

« Les accidents mortels ne sont que la pointe de l’iceberg, mentionne Damien Burlet- Vienney, chercheur à l’IRSST. Les blessures occasionnées par les interventions en espace clos passent sous le radar, car elles sont plus difficiles à identifier dans les bases de données d’accidents. » Avec des collègues de l’IRSST et de Polytechnique Montréal, cet ingénieur s’intéresse aux moyens situés le plus haut dans la hiérarchie de réduction du risque des interventions en espace clos. Les mesures de prévention intrinsèque et de protection collective incluent toutes celles qui sont mises en place lors de la conception ou de la modification d’un espace clos ainsi que celles qui permettent de réduire les risques de l’ensemble du personnel chargé d’y intervenir.

« À la base, la gestion des risques dans les milieux de travail passe par l’obtention d’un permis de travail, la mesure des gaz, la ventilation et l’utilisation d’équipement de protection individuelle. Or, ce n’est pas l’approche la plus efficace en matière de réduction du risque selon les normes sur le sujet. La prévention à la source pour les interventions en espace clos mérite plus d’attention », fait valoir le principal auteur d’un rapport de recherche sur la question. Preuve que le sujet est dans l’air du temps, un projet visant à modifier le cadre réglementaire du travail en espace clos a récemment été publié dans la Gazette officielle du Québec. L’installation d’aménagements favorisant le travail depuis l’extérieur ou le contrôle des risques lors de la construction ou de la rénovation de nouveaux espaces clos fait partie des propositions avancées.

Une étude en trois phases

Comme son nom l’indique, le rapport intitulé Réduction des risques lors des interventions en espace clos : développement d’une base de connaissances sur la prévention intrinsèque et la protection collective a pour objectif de structurer les savoirs existants, tant dans la littérature que dans la pratique sur le terrain. L’équipe de recherche a d’abord procédé à une analyse a posteriori d’accidents mortels en espace clos. « Cet exercice nous a permis de démontrer avec plusieurs exemples que les mesures de prévention intrinsèque et de protection collective sont non seulement possibles, mais potentiellement très efficaces pour éviter des tragédies en espace clos », explique Damien Burlet-Vienney.

Les scientifiques ont ensuite mené des entrevues exhaustives avec 15 spécialistes des espaces clos de tous ordres. Au fil des discussions, cinq types de mesures de prévention intrinsèque et de protection collective sont ressorties : éliminer complètement l’espace, modifier l’espace clos selon une démarche complète d’évaluation du risque pour permettre une occupation humaine continue, supprimer la nécessité d’y entrer pour effectuer une tâche spécifique, réduire le besoin d’y entrer de manière générale, ainsi qu’améliorer l’accès, l’intervention et l’évacuation. Simplement modifier l’accès pour « déclasser administrativement » un espace clos en se basant sur la définition du RSST, sans égard aux autres risques, doit être considéré comme une approche de réduction du risque partielle qu’il convient d’accompagner d’une évaluation du risque complète.

« Un des points également abordés avec les experts est que l’ensemble du cycle de vie des espaces clos, incluant leur maintenance, n’est pas assez pris en compte lors du design initial par les concepteurs, reportant par le même fait la problématique sur le client », note le chercheur.

Dans un dernier temps, l’équipe de recherche a réalisé près d’une vingtaine d’études de cas en entreprise, et ce, dans différents secteurs d’activité. Le but : recenser des mesures de prévention intrinsèque et de prévention collective existantes ou qui pourraient être mises en place. En tout, elle en a repéré 112 ayant un lien avec 30 espaces clos. « Pour que ce soit plus concret pour le lecteur, les solutions ont été regroupées par types d’espaces clos semblables dans le rapport », précise Damien Burlet-Vienney. Au final, les mesures les plus radicales, soit l’élimination complète des espaces clos ou leur déclassement au moyen d’un travail sur les risques, ont été plus rarement évoquées dans les études de cas, leur implantation étant souvent plus difficile dans un contexte de modification d’un espace clos existant, comme certains l’ont exprimé au cours des discussions.

Base de données accessible

Il est plus réaliste d’envisager ce type de mesures lors de la conception initiale d’une infrastructure industrielle. C’est d’ailleurs l’une des conclusions de l’équipe de Damien Burlet-Vienney, qui préconise de poursuivre les recherches en ce sens. En attendant, la base de données créée pour les besoins de cette étude constitue un outil précieux pour les spécialistes de la santé et de la sécurité du travail. « Nous aimerions rendre la base de données plus accessible pour consultation, par exemple en la rendant disponible sur le site Web E.CLOS développé lors d’une recherche précédente. Des réflexions en ce sens sont en cours », conclut-il.