Entrevue avec Steve De Petrillo
Quand la maladie fait germer de grandes idées
Par Louis-Antoine Lemire
12 Décembre 2023
Photo : Collection personnelle
En 2014, le ciel est tombé sur la tête de Steve De Petrillo lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’un cancer. Malgré les embûches, ses séjours à l’hôpital n’ont pas miné sa créativité et lui ont ouvert les yeux sur certaines réalités. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a créé, avec son père Frank et sa conjointe Marie-Claude Parent, l’entreprise Garde-Malade, qui offre des uniformes optimisant le bien-être des travailleuses et travailleurs de la santé. On a rencontré l’homme, qui s’est confié sur cette grande aventure.
« J’ai fait de la chimiothérapie à raison de 40 heures par semaine, nous dit d’emblée Steve. C’est là que tout a commencé. Ma conjointe regardait les professionnels de la santé et elle se disait qu’ils travaillaient fort, mais que leurs uniformes semblaient plutôt en mauvais état. Ils étaient tous verts ou bleus et froissés… C’est à ce moment que nous avons eu l’idée de créer notre marque de vêtements de travail. »
Toutefois, le projet ne s’est pas mis en branle instantanément. En raison de son état de santé, Steve devait récupérer, tandis que sa conjointe avait décidé de continuer de travailler au service à la clientèle chez Hydro-Québec. Quant à Frank, le père de Steve, il évoluait déjà dans l’industrie du vêtement. « Nous avons laissé ça aller, explique l’entrepreneur. J’ai fait mes traitements, puis nous avons eu des enfants. En 2019, un peu avant le début de la pandémie, nous avons reparlé du projet et mon père m’a dit qu’il avait toutes les ressources pour assurer la fabrication des uniformes. Il désirait donc se charger de ce volet. »
De fil en aiguille
Comme Steve était aussi propriétaire d’une entreprise de sous-vêtements depuis 2009, il avait acquis suffisamment d’expérience dans le commerce électronique pour se lancer dans cette aventure. Pour sa part, Marie-Claude cumulait plusieurs années d’expérience en service à la clientèle. Mais le trio n’a pas sauté d’étapes et a gravi une marche à la fois. « Ça nous a pris un an pour faire les prototypes, comprendre les processus de fabrication et trouver nos fournisseurs. » Comme Steve et Marie-Claude ont plusieurs amis qui travaillent dans le milieu infirmier, ils leur ont posé beaucoup de questions afin de connaître leurs besoins et leurs attentes en lien avec les vêtements de travail. « Le look n’était pas la priorité, affirme Steve. Toutefois, c’était quand même un élément qui pouvait nous distinguer. Nous avons donc créé des modèles plus tendance, avec des couleurs plus jolies. Mais, bien sûr, on s’est énormément préoccupé de l’aspect pratique; il fallait que les uniformes aient plusieurs poches, car les infirmières et infirmiers transportent beaucoup d’équipements. Il fallait aussi que les vêtements soient légers et qu’ils respirent bien pour garantir un confort optimal. Éventuellement, les matières antibactériennes et recyclées ont été mises de l’avant. »
La quête du vêtement parfait
Le site de l’entreprise a été mis en ligne en juin 2020. Il faut toutefois mentionner que les premiers modèles n’ont pas atteint le niveau de perfection visé par le trio d’entrepreneurs, même s’il a malgré tout reçu de bons commentaires concernant le confort des vêtements. « Après ça, tout a commencé à débouler, explique Steve. Nous avons donc ajouté de nouveaux modèles et différentes couleurs à notre collection. » Il mentionne également que de nouveaux produits ont été ajoutés en cours de route, dont des sacs et des chaussures, eux aussi adaptés aux besoins particuliers des travailleuses et des travailleurs. Steve explique ce qui le motive à créer ces produits : « Les professionnels de la santé n’ont pas un boulot facile. Lorsqu’ils portent nos produits, ils nous disent qu’enfin ils se sentent bien dans leurs vêtements de travail et qu’ils sont contents qu’ils soient fabriqués localement. Ils nous disent aussi que même les patients leur font des commentaires positifs sur leurs vêtements, et ça nous fait chaud au cœur. »
Il est à noter que l’entreprise vend ses produits uniquement en ligne. Parmi sa clientèle, on trouve des professionnels de la santé, comme des massothérapeutes, des vétérinaires, des infirmières et infirmiers, des dentistes ainsi que des esthéticiennes et esthéticiens. Étant donné la structure virtuelle de l’entreprise, il fallait trouver une façon de se faire connaître auprès de la clientèle cible. Marie-Claude a donc participé à l’émission Dans l’œil du dragon, diffusée à Radio-Canada. « C’est sûr qu’à la suite de son passage, nous avons reçu plusieurs appels et demandes, explique Steve. Cependant, ce qui a fait la différence, c’est vraiment le bouche-à-oreille. Une grande partie de notre clientèle est également très active sur les médias sociaux; les vêtements ont donc été affichés à maintes reprises et à une vitesse folle sur ces plateformes », dit le fier entrepreneur.
Les défis du métier
Parmi les plus gros défis de l’entreprise, il y a le fait de garder la production à l’échelle locale. « Au Canada et au Québec, nous ne sommes pas vraiment des manufacturiers. On le sait, c’est facile de faire produire des vêtements ailleurs, là où les équipements et la main-d’œuvre sont faciles d’accès. Ici, ce n’est pas évident de recruter des couturières et des couturiers. Le gros défi est donc de trouver des employés. » Et, bien sûr, les gens d’affaires ont eu à faire face à des problèmes d’approvisionnement pendant la pandémie; toutefois, Steve affirme que les retards ont été rattrapés, d’autant plus que les ventes ont explosé pendant cette période.
Droit au cœur
Lorsqu’on lui demande ce que cela représente pour lui de voir des gens porter les uniformes signés Garde-Malade dans les hôpitaux, le copropriétaire admet qu’il n’y a rien de plus valorisant : « Nous avons créé cette entreprise pour changer la vie des travailleuses et des travailleurs, en quelque sorte. C’est très plaisant de savoir qu’ils se sentent à l’aise dans leurs vêtements. Souvent, on jase avec eux et ils se disent très heureux. On trouve ça génial! » Steve ajoute d’ailleurs que, lorsqu’il retourne à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pour ses suivis, il discute avec les chirurgiens et le personnel infirmier. « Même si ça fait près de 10 ans que j’ai reçu mes traitements, ça vient toujours me chercher quand je reçois de bons commentaires, confie-t-il, émotif. Oui, c’est une entreprise, mais ça m’émeut sincèrement de pouvoir épauler ces femmes et ces hommes dans leur travail. » D’ailleurs, Garde-Malade tente de redonner au suivant en s’impliquant dans diverses causes.
Regard vers le futur
Étant donné le succès de leurs produits, Steve et ses acolytes pourraient-ils envisager de créer un kiosque de vêtements Garde-Malade dans un hôpital un jour afin de rendre les vêtements encore plus accessibles pour les travailleuses et les travailleurs? Bien qu’il n’y ait jamais songé, cette option lui semble intéressante. « Nous savons que les boutiques physiques, c’est un autre type de commerce. Nous avons déjà fait une boutique “pop-up” à Place Rosemère et des gens sont venus de Québec pour essayer les vêtements. Cela dit, la vente au détail nous fait un peu peur, notamment en raison des employés supplémentaires que cela nécessiterait. Et puis, Garde-Malade fonctionne bien en ligne. Éventuellement, on aimerait peut-être avoir une boutique mobile, un peu comme un food truck. » Et, à part la santé, que souhaite Steve pour la suite? « On veut continuer notre croissance et s’assurer que nos clients sont satisfaits », termine l’entrepreneur.