Pour ne plus laisser le harnais au vestiaire
Par MAXIME BILODEAU
7 novembre 2023
Illustration : Julien Castanié
Et si les harnais pouvaient être mieux conçus ? Une étude financée par l’IRSST nourrit cette réflexion.
Les chutes de hauteur alourdissent le bilan en santé et sécurité du travail au Québec. Troisième cause de décès professionnel en 2019, deuxième cause d’accidents en termes de coûts annuels à la fin de la décennie 2000, parmi les dix premières causes de lésions professionnelles de 2010 à 2012… Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il est primordial d’intervenir pour réduire le bilan de ces chutes. Parmi les moyens disponibles, notons les systèmes individuels d’arrêt de chute, qui permettent de limiter les conséquences graves d’une chute en retenant le travailleur ou la travailleuse grâce à un harnais, d’une liaison et d’un ancrage.
Très utilisée dans le milieu de la construction, cette option représente néanmoins un dernier recours et l’on doit privilégier les moyens de protection collectifs, comme les garde-corps . Et pour cause : les travailleuses et les travailleurs portent souvent peu ou mal le harnais censé les retenir, le laissant parfois au vestiaire avec tous les risques que ce choix comporte. « Cet équipement de protection individuelle est considéré comme trop lourd, trop chaud à porter, inesthétique et susceptible d’interférer avec les tâches à exécuter », souligne Bertrand Galy, conseiller au service de la recherche, anciennement chercheur à l’IRSST.
Il est l’auteur principal d’une récente étude qui s’est penchée sur le confort de cet équipement servant à répartir sur le corps d’une personne la traction causée par la gravité. Le but : améliorer cette notion pour le moins subjective. « Il faut trouver un compromis entre le confort et la question de la performance en suspension, après une chute, affirme-t-il. Le harnais perturbe alors la circulation sanguine, ce qui peut entraîner la mort. » L’utilisation de trauma straps, des sangles permettant à la personne de se tenir debout dans son harnais en suspension, semble offrir une solution efficace.
En plusieurs temps
Avec ses collègues, Bertrand Galy a d’abord observé des monteurs-assembleurs et monteuses-assembleuses ainsi que des ferrailleurs et ferrailleuses à l’oeuvre. Le personnel de ces corps de métier est en effet régulièrement amené à porter des harnais de sécurité. « Nous voulions documenter les principales tâches réalisées par ces travailleurs et travailleuses en hauteur. Cela nous a permis d’isoler dix mouvements contraignants que nous avons ensuite reproduits en laboratoire, pour l’évaluation comparative de différents types de harnais », raconte le conseiller.
Ces essais ont impliqué 60 sujets, 30 hommes et 30 femmes, qui ont, tour à tour, enfilé quatre harnais conventionnels couramment utilisés sur les chantiers, soit un modèle en X, deux modèles en H et un modèle en Y. Les scientifiques ont tenu compte de la composition corporelle des participants et participantes pour pouvoir mesurer l’effet sur le confort du port des harnais des trois catégories de somatotypes existants, soit l’ectomorphe, le mésomorphe et l’endomorphe. Ils ont recruté un nombre égal de participantes et participants correspondant à chacun de ces somatotypes.
« L’expérimentation consistait en des séances de mouvements contrôlés suivies de suspensions prolongées de dix minutes pendant lesquelles les sujets donnaient leur perception des pressions exercées par les sangles des harnais, que nous mesurions par ailleurs à l’aide de tapis de pression. Nous observions en parallèle l’évolution de paramètres physiologiques, comme la fréquence cardiaque et la pression artérielle », explique Bertrand Galy. Ce protocole expérimental fut répété lors d’une seconde phase réunissant 36 sujets, qui portaient deux prototypes de harnais créés pour cette étude, en plus de modèles commerciaux.
Perceptions variables
Lors des essais de la première phase de la recherche, les scientifiques ont observé que les harnais en H de base, les plus représentés sur les chantiers, sont les plus inconfortables, autant pour les mouvements que pour la suspension. Le modèle en Y est au contraire considéré comme le plus performant dans ces deux cas, tandis que celui en X fait figure d’entre-deux. Fait à noter : le somatotype et le sexe des sujets ont peu influencé ces observations, ce qui semble indiquer que ces variables seraient des éléments secondaires pour le choix des harnais.
Les deux prototypes mis à l’épreuve lors de la seconde phase se sont distingués sur des aspects spécifiques. Leur configuration en H pour les sangles frontales et en Y inversé pour la partie dorsale, sans courroies sous-fessières, leur permet ainsi de mieux convenir à certains mouvements que le harnais en H. « Notre partenaire industriel est en réflexion quant à la possibilité de mettre en marché ces prototypes, indique Bertrand Galy. Nos données indiquent que certains types de harnais sont meilleurs que les autres, dans la mesure où ils sont ajustés à la taille des individus. »
Pour en savoir plus
Rapport : irsst.info/r-1181