Plein feu sur la dosimétrie intraauriculaire
Par Maxime Bilodeau
12 avril 2022
Des chercheurs financés par l’IRSST renforcent l’édifice de connaissances d’une nouvelle méthode de mesure de l’exposition au bruit.
Il est difficile de mesurer avec précision les niveaux d’exposition au bruit auxquels les travailleurs sont exposés. Cela est d’autant plus vrai s’ils portent des protecteurs auditifs, comme des coquilles antibruit ou des bouchons d’oreille. « Les variations dans l’utilisation des protecteurs et les différences morphologiques d’un individu à l’autre jouent pour beaucoup dans l’efficacité terrain de ces dispositifs. Par exemple, chez l’un, un protecteur pourrait offrir une protection qui équivaut à 25 dB ; chez un autre, ce serait davantage de l’ordre de 15 dB, une différence considérable », explique Hugues Nélisse, chercheur en prévention des risques chimiques, biologiques, mécaniques et physiques à l’IRSST.
Cette grande variabilité peut avoir des conséquences fâcheuses. Au Québec, de 1997 à 2016, près de 74 000 travailleurs ont développé une surdité professionnelle reconnue par la CNESST. On estime d’ailleurs que cette maladie du travail, de loin la plus recensée, trône au premier rang des dépenses d’indemnisation, avec un coût moyen par lésion de plus 150 000 $ de 2005 à 2007. Une mesure fiable et précise de l’exposition sonore s’avère donc indispensable pour juguler ce fléau dans les milieux de travail.
Une nouvelle méthode de mesure de l’exposition au bruit que permettent la miniaturisation constante et le faible coût des équipements électroniques pourrait changer la donne. Le dosimètre intra-auriculaire (DIA), soit des microphones miniatures intégrés à un dispositif intraauriculaire (placé dans l’oreille), pallie un certain nombre de problèmes liés aux méthodes de mesure conventionnelles. « Cela ouvre la porte à des mesures plus personnalisées, puisqu’elles sont prises à même l’oreille du travailleur. Toutefois, il reste encore des problèmes d’ordre méthodologique quant à leur utilisation », nuance Hugues Nélisse.
Plusieurs volets

Avec des collaborateurs de l’École de technologie supérieure (ÉTS), le chercheur a entrepris de faire la lumière sur ces zones d’ombre. L’équipe a d’abord estimé la différence entre les valeurs acoustiques normalisées (mesurées en champ libre) et celles mesurées avec un DIA inséré dans l’oreille de participants. Le but : élaborer des facteurs d’équivalence individuels pour tenir compte de cet écart. « Grâce à nos travaux, il est désormais possible de comparer une mesure individuelle aux limites recommandées et d’ainsi déterminer si ce sujet est à risque ou non de développer une surdité », souligne Hugues Nélisse.
Les chercheurs ont ensuite élaboré une approche visant à détecter, et à exclure au besoin, les perturbations sonores provenant d’un individu doté d’un DIA, lesquelles peuvent parfois dépasser 90 dB. À l’heure actuelle, on ne sait pas si ces perturbations – parole, toux, raclement de gorge – sont aussi dommageables pour l’audition que ceux qui proviennent de l’environnement extérieur. « Notre corps serait doté de mécanismes qui pourraient nous protéger de ces sons. Nos résultats ne permettent toutefois pas pour l’instant de trancher cette question ni d’établir de liens clairs avec le risque de dommages auditifs », affirme Hugues Nélisse.
La dernière question à laquelle les scientifiques se sont attaqués est davantage d’ordre fondamental. Estce que la sensibilité auditive d’un individu se modifie lorsque son oreille est occluse, comme c’est le cas avec un DIA ? Contrairement à des études antérieures qui rapportent des différences de l’ordre de 6 à 10 dB, Hugues Nélisse et ses collègues n’ont rien observé qui permette de conclure en ce sens. « Cela signifie qu’il n’est a priori pas nécessaire de corriger la mesure effectuée avec un DIA pour tenir compte d’un éventuel écart de sensibilité lié à l’occlusion du conduit auditif », résume-t-il.
Technologie d’avenir
Pris ensemble, ces résultats soutiennent l’idée voulant que le DIA représente un outil d’avenir pour la mesure de l’exposition sonore. Il a le potentiel de devenir indispensable pour établir un portrait plus juste des risques de dommages auditifs causés par le bruit. « Les méthodes de mesure actuelles sont vraiment approximatives, il faut en être conscient. Le DIA, avec tous ses avantages, n’annule toutefois pas la nécessité d’un suivi, d’une sensibilisation et d’une formation au bruit dans les milieux de travail », prévient cependant Hugues Nélisse.
En fin de compte, la meilleure solution est encore et toujours de réduire le bruit à la source. « Le port de protecteurs auditifs devrait être envisagé en dernier recours, si la réduction à la source est insuffisante ou impossible, martèle l’expert. J’ai toutefois l’impression qu’on va voir de plus en plus le DIA dans les milieux de travail. Avec les évolutions technologiques rapides en électronique et dans la fabrication additive, il est monnaie courante de retrouver une imprimante 3D et des composantes électroniques de pointe dans un laboratoire, ce qui facilite le développement de technologies comme la dosimétrie intraauriculaire », conclut Hugues Nélisse.
Pour en savoir plus
NÉLISSE, Hugues, Fabien BONNET, Marcos NOGAROLLI, Jérémie VOIX Développement d’une méthode de mesure de l’exposition sonore effective intraauriculaire pour une utilisation en milieu de travail, R-1126, 109 pages. irsst.info/r-1126