Entrevue avec Pierre Bouchard
36 ans de passion pour la prévention
Par Lyndie Lévesque
2 novembre 2021
Après 36 ans à œuvrer pour le développement et la promotion de la santé et de la sécurité du travail (SST) à la CNESST, Pierre Bouchard, ingénieur et chef d’équipe à la Direction du génie-conseil, a pris sa retraite à l’été 2021. Un repos bien mérité pour cet expert en SST, qui partage avec nous les observations qu’il a effectuées au fil de ses nombreuses expériences.
L’équipe que dirigeait Pierre Bouchard porte plusieurs chapeaux. Elle offre du soutien aux services de prévention-inspection, notamment dans les enquêtes sur les accidents mortels, elle met sur pied et offre de la formation aux inspecteurs et est appelée à témoigner en tant que témoin expert de la CNESST. De conseiller expert en protection contre les chutes à chef d’équipe en passant par inspecteur, Pierre Bouchard a endossé de nombreux rôles en prévention-inspection, toujours en faisant partager sa vision de la prévention liée à la SST.
Après tant d’années passées à la CNESST, M. Bouchard a été aux premières loges de l’évolution de la santé et de la sécurité du travail. Qu’est-ce qui a changé au fil des ans, selon lui? « Beaucoup de choses, beaucoup plus que ce que les gens peuvent penser », raconte-t-il d’emblée. Pour avoir un bon indicateur de cette évolution, l’ex-chef d’équipe dit qu’il faut regarder le nombre d’accidents de travail mortels. Selon M. Bouchard, le nombre de décès indemnisés annuellement est un indicateur biaisé de l’évolution de la SST dans les 30 dernières années parce que ce nombre inclut les décès imputables à une maladie professionnelle, lesquels sont désormais beaucoup plus nombreux que ceux attribuables à un accident de travail.
Pour avoir un bon indicateur de l’évolution de la SST, l’ex-chef d’équipe est d’avis qu’il faut regarder le nombre d’accidents mortels.
« Quand on regarde le nombre d’accidents de travail mortels au fil des années, on se rend compte qu’il y a eu une nette diminution », souligne-t-il. Dans le secteur de la construction, nous sommes passés d’une moyenne de 30 accidents de travail mortels annuellement, entre 1981 et 1985, à 15 dans les cinq dernières années. Et selon Pierre Bouchard, cette diminution s’explique de diverses façons. Parmi elles, il cite la prise de conscience des milieux de travail les plus à risque ainsi que l’arrivée d’équipements qui assurent aux travailleurs une sécurité dont ils ne jouissaient pas auparavant.
La protection contre les chutes comme exemple d’évolution
Les équipements de protection dans ce domaine sont apparus en réponse à des besoins précis, affirme Pierre Bouchard. « À l’époque, quand on parlait de protection contre les chutes, la seule solution dans la tête des gens était de s’accrocher quelque part. Et on ne parlait même pas d’un harnais, mais d’une ceinture », se souvient-il. En effet, il a assisté au passage d’un équipement très rudimentaire à un équipement moderne. « L’équipement de protection individuelle a changé de plusieurs façons, mais, au bout du compte, il a quand même certaines limites », indique Pierre Bouchard. « Même si tu as un harnais, une longe ou un absorbeur et que tu les utilises bien, il reste que tu peux faire une chute et subir une blessure », explique l’expert, avant d’apporter quelques précisions sur l’évolution de l’idée qu’on se fait de la prévention. « Notre façon de voir la prévention a changé », dit-il. On fait aujourd’hui référence à la hiérarchie des mesures de prévention, selon laquelle il faut toujours commencer par trouver le moyen d’éliminer le danger à la source plutôt que de miser uniquement sur les équipements de protection individuelle. Ainsi, dans le cas des chutes liées au travail en hauteur, il est certain qu’il est toujours plus prudent de trouver une façon d’accomplir ses tâches au sol. « La première chose que l’on doit se demander est : ai-je vraiment besoin de travailler en hauteur ou puis-je travailler au sol? », illustre Pierre Bouchard. Il indique d’ailleurs que les inspections en hauteur, par exemple, peuvent désormais être réalisées à partir du sol, avec un drone muni d’une caméra.
Les grands oubliés de l’évolution
Selon M. Bouchard, pour aller encore plus loin dans l’évolution de la prévention, il est impératif d’informer les gens et d’oser tenter de faire changer les mentalités et les méthodes de travail. « La chose qui n’a pas assez évolué, c’est la connaissance des travailleurs quant à leurs droits et aux règlements qui leur permettraient d’être plus proactifs dans l’identification des risques et des moyens de prévention à préconiser », dit-il. Pour illustrer son propos, il donne l’exemple d’un travailleur qui exécute une tâche d’une façon précise depuis 10 ou 15 ans. « Quand tu fais une action d’une certaine façon, tu peux penser que tu la fais bien et qu’il n’y a pas de moyen de mieux la faire, alors que ce n’est pas souvent le cas », explique-t-il. D’ailleurs, à ses yeux, l’inspecteur en santé et sécurité du travail est trop souvent perçu par les travailleurs comme étant une « police ». Pourtant, son rôle premier n’est pas de punir, mais bien plutôt de convaincre et soutenir les milieux de travail dans la prise en charge de la SST.
Un travail d’équipe
Quand il repense à ses années de carrière, Pierre Bouchard se remémore surtout les liens tissés avec les collègues et les belles rencontres avec les intervenants en SST. « En prévention, c’est impossible de travailler tout seul, dans son coin », fait remarquer M. Bouchard, qui avoue que le fait de travailler en équipe est l’un des plus beaux aspects de son métier. « On crée des liens avec des personnes de tous les milieux, qui n’ont parfois rien à voir avec le nôtre, mais qui ont eux aussi la prévention à cœur », conclut l’expert avec émotion.