Mieux prévenir les accidents de ponts élévateurs de véhicules
Par Maxime Bilodeau
29 août 2023
IIllustration : Julien Castanié
Une équipe de recherche financée et soutenue par l’IRSST a produit de précieuses connaissances sur un type d’équipement spécifique utilisé dans les garages du Québec.
Des « passés proches » surviennent parfois dans les garages du Québec. Nombre de ces quasi-accidents découlent des quelque 30 000 ponts élévateurs de véhicules (PEV) hors terre à deux colonnes (HT2C) qu’on y recense. Ces équipements permettent en effet de soulever un véhicule au moyen d’une prise sous le châssis. Or, l’utilisation inappropriée d’un PEV HT2C, tout comme l’entretien déficient de ses bras pivotants et de ses accessoires, peut précipiter la chute de la charge surélevée, et ainsi mettre en danger le personnel spécialisé en réparation automobile.
C’est ce qui est arrivé à Maxime Fortier, un jeune travailleur décédé sous un véhicule soulevé par un PEV HT2C, en 2014. Cette tragédie n’est cependant que la pointe de l’iceberg. De 1980 à 2020, 25 accidents impliquant un PEV (pas nécessairement HT2C) sont survenus au Québec.
Un sondage que l’Association sectorielle paritaire Auto Prévention a réalisé en ligne parmi 124 entreprises du secteur des services automobiles en 2017 a révélé que 14 % d’entre elles ont rapporté la chute d’un véhicule installé sur un PEV sans qu’il ait entraîné de blessure dans la décennie précédente.
Bref, il y a lieu d’approfondir les connaissances sur les facteurs d’ordre technique, organisationnel et humain qui peuvent contribuer à l’écroulement d’un véhicule monté sur un PEV HT2C. C’est ce que fait une équipe de scientifiques de l’IRSST, de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université du Québec à Trois-Rivières dans un nouveau rapport de recherche. « Il y avait peu de littérature scientifique sur l’utilisation [méthodes de levage] des PEV HT2C dans les milieux de travail et sur leur fonctionnement mécanique [stabilité du levage] », indique Damien Burlet-Vienney, chercheur à l’IRSST et coauteur du rapport. « Nous avons donc opté pour une approche pluridisciplinaire qui allie ergonomie et ingénierie de manière à bien couvrir la problématique », ajoute pour sa part Sylvie Beaugrand, professionnelle scientifique à l’IRSST, coautrice du document.
En trois temps : identifier, corriger, contrôler
Les scientifiques ont d’abord identifié et hiérarchisé les différents paramètres susceptibles de nuire à la stabilité du levage, comme une mauvaise répartition des efforts dans les quatre bras télescopiques d’un PEV HT2C ou le glissement du véhicule sur les patins. Cette partie « plus théorique » s’est faite à l’aide d’instruments de mesure et de deux plans d’expérience où de multiples essais de levage ont été réalisés, explique Damien Burlet-Vienney. L’analyse a notamment permis de quantifier l’important déséquilibre des forces vers les bras arrière dans le cas des véhicules de type camionnette (pickup) chargés, tout comme l’effet de l’usure du pont sur la répartition des forces dans lesquatre bras.
Puis, l’équipe de recherche s’est intéressée au travail de levage des véhicules tel que le font les spécialistes de la réparation automobile dans différentes situations, lesquelles sont très diversifiées. Il s’agissait en somme de mettre en lumière les modes opératoires et les déterminants de cette activité de levage dans l’optique de la rendre plus sécuritaire. « Ce bloc terrain a révélé par exemple que les techniciennes et techniciens trouvent des solutions avec les ressources à leur disposition lorsque le manque de polyvalence de leur pont ne leur permet pas de s’adapter au type de véhicule à lever », analyse Sylvie Beaugrand.
La dernière phase, qui s’appuie sur les deux précédentes, a consisté à bonifier les critères actuels de l’inspection périodique des PEV HT2C. Dans ce cas, seuls les aspects de sécurité des PEV HT2C – ne concernant pas leur fiabilité ou leur maintenance, sauf s’ils peuvent avoir un lien direct avec la sécurité – ont été pris en compte. Ces travaux ont mené au développement d’une grille d’inspection spécifique aux PEV HT2C incluant 15 points décomposés en 42 sous-points et 74 critères d’inspection. « Des démarches pour valoriser ces résultats et ceux des
autres phases de l’étude sont en cours en collaboration avec Auto Prévention et le comité de travail que l’organisme a mis en place », précise Damien Burlet-Vienney.
Responsabilité partagée
Cette recherche débouche sur des recommandations à différents égards pour mieux prévenir les accidents attribuables aux PEV HT2C. « Comme il s’agit d’un problème aux origines variées, le fardeau doit reposer sur plusieurs épaules. Les compagnies qui construisent les automobiles peuvent par exemple optimiser l’emplacement des points de levage et des batteries pour les véhicules électriques », illustre Damien Burlet-Vienney. « Les garages ont à gagner notamment en favorisant une culture de prévention propice au partage d’expertise et à la formation, une
bonne identification et la compréhension des situations à risque par tout le personnel et une répartition du travail tenant compte del’adéquation entre le véhicule à lever, les caractéristiques du pont et l’expertise de la technicienne ou du technicien », conclut Sylvie Beaugrand.
Pour en savoir plus
Rapport : irsst.info/r-1179
Fiche : irsst.info/dt-1179