Mesurer l’exposition réelle des travailleurs aux isocyanates
Par Catherine Couturier
6 juillet 2021
Les isocyanates sont utilisés dans une foule d’industrie et de procédés. Cette molécule est un irritant connu, autant pour la voie respiratoire que cutanée, et une cause majeure d’asthme professionnel. Survol de la recherche s’intéressant à l’évaluation de l’exposition des travailleurs à ces substances.
« Les isocyanates sont des molécules organiques hautement réactives », explique Sébastien Gagné, chimiste toxicologue à l’IRSST. Ceux-ci entrent en jeu dans la confection des rembourrages en mousse, dans la peinture automobile, les adhésifs, ou la mousse polyuréthane pulvérisé pour l’isolation.
Les isocyanates sont des molécules produites lors de la mise en oeuvre de procédés, notamment la fabrication de polyuréthane. « Aussitôt que l’on mentionne polyuréthane, ça veut dire que dans le procédé de fabrication, il y a eu des isocyanates », explique Simon Aubin, chimiste et hygiéniste industriel certifié à l’IRSST. Ces composés sont surtout nocifs pour la santé dans un contexte de santé au travail. Oui, le polyuréthane se retrouve dans une multitude de produits destinés au public, mais c’est seulement lors de la fabrication que les isocyanates sont présents. « En effet, une fois la réaction chimique de polymérisation terminée, le monomère d’isocyanate, qui se “ répète ” à l’infini dans le polyuréthane, n’existe plus en tant que tel, ce qui s’applique aussi pour ses effets toxiques », poursuit Simon Aubin.
Si les produits finis sont sans danger pour la santé du public, les isocyanates causent des problèmes de santé cutanée et respiratoire chez les travailleurs qui les transforment. Ceux-ci sont présents dans plusieurs milieux professionnels, de la construction à la carrosserie, en passant par les usines de rembourrage ou de fabricants de matelas. C’est aussi une des causes d’asthme professionnel chez les travailleurs québécois.
Ces procédés de fabrication sont largement répandus et mènent à la production de produits ayant des propriétés difficilement remplaçables. Or, la plupart des pays imposent des valeurs limites pour l’exposition professionnelle aux isocyanates (5 parties par milliard (ppb) ou moins dans l’air). Au Québec, le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST) stipule une valeur d’exposition moyenne pondérée de 5 ppb pour les isocyanates cités à l’annexe 1. L’article 42 du RSST mentionne également que l’exposition à tout isocyanate ou oligomères d’isocyanate doit être réduite au minimum. Il est donc important de pouvoir mesurer adéquatement les niveaux d’exposition des travailleurs.
La petite histoire
Les isocyanates sont utilisés depuis plusieurs décennies, et ont été reconnus comme un enjeu de santé au travail dans les années 1990, relatent les deux chimistes. Dans les années 1980-1990, l’IRSST a conçu le dispositif Iso-chek®, devenant un pionnier de la mesure d’isocyanates au Québec en réponse aux enjeux de santé au travail. Cette méthode d’évaluation des isocyanates dans l’air est d’ailleurs encore utilisée.
La recherche a beaucoup évolué jusqu’au début des années 2000, et a à nouveau fait un bond au début des années 2010, avec la mise au point de techniques d’échantillonnage et d’analyse plus exactes pour certains contextes d’exposition. On s’est aperçu que les méthodes d’évaluation d’isocyanates dans l’air sous-estimaient leur concentration pour certaines applications. Depuis 2013, l’IRSST a voulu pallier les limitations des méthodes bien implantées. « Les méthodes étaient faciles d’utilisation, mais les mesures n’étaient pas exactes pour certaines applications », relate le chimiste Sébastien Gagné.
Ce sont ces dernières avancées que Sébastien Gagné et Simon Aubin ont présentées dans une conférence intitulée Évaluation de l’exposition aux isocyanates : recherche et développement depuis 2013 et perspectives. Les scientifiques ont ainsi parlé des travaux de l’IRSST dans la dernière décennie : projets d’évaluation des isocyanates dans l’air, migration des isocyanates résiduels à partir des matériaux finis, mesures dans les sols des produits de dégradation du diisocyanate de biphénylméthane (MDI) et surveillance biologique de l’exposition.
Deux projets en cours
La surveillance biologique
Malgré ces avancées dans la mesure dans l’air, il reste difficile de savoir quelle est la véritable quantité d’isocyanates absorbée par les travailleurs, surtout lors de certains procédés comme la mousse pulvérisée à base de MDI. Des travailleurs qui, par exemple, travaillent lentement ou plus rapidement, qui exposent leur peau aux particules aéroportées ou déposées sur les surfaces ou qui portent des équipements de protection individuels plus ou moins bien ajustés, n’absorberont pas la même quantité d’isocyanates. La capacité de mesurer la quantité d’isocyanates est également rendue difficile par la multiplication des procédés dans l’industrie. « Le défi vient aussi des différents cocktails chimiques en milieu de travail », soulève Simon Aubin. En effet, certains procédés émettent des isocyanates de différentes formes physiques ou chimiques, qui peuvent être difficiles à évaluer sur les surfaces ou dans l’air.
Alors qu’on s’est attardé à l’évaluation environnementale dans les dernières décennies, les chercheurs de l’IRSST s’intéressent aussi aujourd’hui à la surveillance biologique, une première au Québec pour les isocyanates. « Le prélèvement d’air peut donner un portrait de ce qui est susceptible d’être absorbé par le travailleur, mais seule la mesure biologique va permettre de connaître la dose, c’est-à-dire la véritable quantité d’isocyanates absorbée par inhalation ou par contact cutanée », résume Sébastien Gagné. Cette surveillance vise à mesurer l’exposition globale des travailleurs pour ensuite mettre en place, si la situation le nécessite, un meilleur contrôle de l’exposition et ainsi prévenir l’apparition d’effets sur la santé. « On s’est aperçu avec les années que l’on évaluait parfois des niveaux dans l’air assez bas, mais que certains travailleurs étaient malades quand même, explique Simon Aubin. Cela prenait cet outil pour obtenir une meilleure représentation de la réalité. » Le prélèvement urinaire, une méthode simple et non invasive, permettrait de faire le suivi des niveaux d’exposition aux isocyanates.
La surveillance biologique ne remplacera pas le prélèvement dans l’air. Les méthodes de mesure biologique sont plutôt complémentaires selon différents scénarios. « Les procédés qui ont recours aux isocyanates restent complexes, et cela peut être difficile pour l’intervenant en santé au travail d’anticiper le risque d’exposition. La surveillance biologique pourrait venir combler cet angle mort », conclut Simon Aubin.
Efficacité des dispositifs de prélèvements dans l’air
Les dispositifs de prélèvements dans l’air intéressent également les scientifiques. Dans le cadre d’un projet mené par Simon Aubin, un banc d’essai capable de générer des atmosphères contrôlées d’isocyanates a été développé, et permettra de caractériser l’efficacité de collection des isocyanates à l’intérieur de dispositifs de prélèvements. De plus, Simon Aubin s’affaire à déterminer les performances des méthodes existantes pour les principaux procédés générant des isocyanates dans l’air en situations simulées et réelles.
Ultimement, ces nouvelles connaissances serviront pour assigner une méthode d’évaluation d’isocyanates dans l’air à un procédé précis ou encore optimiser les méthodes existantes afin de les rendre plus efficaces, et ainsi, mieux protéger les travailleurs par une prévention plus adéquate.
Pour en savoir plus
- Conférence : Évaluation de l’exposition aux isocyanates : recherche et développement depuis 2013 et perspectives, CF-0292
- ROBERGE, Brigitte, Simon AUBIN, Claude OSTIGUY, Jacques LESAGE. Guide de prévention pour une utilisation sécuritaire des isocyanates – Démarche d’hygiènedu travail, RG-764, 94 pages.
- Irsst.info/rg-764
- PUSCASU, Silvia, Simon AUBIN, Yves CLOUTIER, Philippe SARAZIN, Huu Van TRA, Sébastien GAGNÉ. Développement d’un nouveau dispositif d’échantillonnage des aérosols de diisocyanate-4,4’ de diphénylméthane (MDI) utilisé lors de la pulvérisation de mousse isolante,,R-924, 41 pages.
- Irsst.info/r-924