Liberté de religion et port du casque protecteur

Par Lilia Rekkam

3 juillet 2020

Été 2020, vol. 33/2

Au Québec, la discrimination en milieu de travail est interdite. Qu’en est-il toutefois lorsqu’une loi visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs a un effet discriminatoire? La Cour d’appel s’est prononcée sur cette question1, alors que des camionneurs de confession sikhe portant le turban demandaient à être exemptés du port du casque protecteur pour un motif religieux.

Les faits

En 2004, une disposition obligeant les organisations et leurs dirigeants à prendre des mesures pour éviter des blessures corporelles à autrui est ajoutée au Code criminel2. Afin de respecter son obligation d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs, en juillet 2005, la Montreal Gateway Terminals (MGT) instaure une politique obligeant le port du casque protecteur à tout individu circulant à pied à l’intérieur des terminaux du port de Montréal. Invoquant que leur religion ne leur permet pas de porter un casque par-dessus leur turban, trois camionneurs de confession sikhe demandent à être exemptés de cette obligation.

La MGT met alors en place une mesure d’accommodement prévoyant que les camionneurs en question demeurent à l’intérieur de leur véhicule pendant que des employés des terminaux effectuent à leur place les tâches requises à l’extérieur du camion. Toutefois, ni l’entreprise ni les camionneurs sikhs ne sont satisfaits de cette mesure d’accommodement. Celle-ci étant non viable d’un point de vue économique et organisationnel, la MGT l’abandonne au bout de trois ans.

Se prétendant victimes de discrimination fondée sur la religion, les camionneurs portant le turban contestent la politique devant la Cour supérieure3. Ayant été déboutés, ils décident de faire appel de cette décision.

La décision de la cour d’appel

Dans sa décision, la Cour d’appel rejette les moyens d’appel invoqués par les camionneurs, confirmant ainsi le jugement de première instance.

Les appelants prétendent principalement que la Cour supérieure a commis une erreur en concluant que la politique du port obligatoire du casque respecte la Charte des droits et libertés de la personne4 (Charte québécoise). Relativement à cet argument, la Cour d’appel, tout comme la Cour supérieure avant elle, précise qu’il y a bien discrimination en vertu de la Charte québécoise5, puisque la politique affecte l’exercice, en pleine égalité, des droits des appelants à leur liberté de religion. Le tribunal rappelle toutefois qu’une telle atteinte est permise lorsque deux critères sont respectés : l’existence d’un lien rationnel entre l’exigence discriminatoire et l’objectif poursuivi ; et une atteinte minimale au droit6.

Quant au premier critère, la Cour d’appel estime que le juge de première instance a eu raison de conclure que la politique respecte le critère de proportionnalité de la Charte québécoise, puisqu’il existe un lien rationnel entre l’obligation de porter un casque protecteur et l’objectif de sécurité poursuivi par l’entreprise, le risque d’accident étant réel. De plus, l’atteinte est minimale, puisque la politique de la MGT n’oblige pas les camionneurs à retirer leur turban, mais seulement à porter un casque par-dessus, et ce, uniquement lorsqu’ils sont à l’extérieur de leur camion. Également, un expert en sikhisme a témoigné que personne ne serait exclu de la religion sikhe pour avoir porté un casque sur son turban.

En tenant compte des effets préjudiciables et bénéfiques de la politique, des risques propres à un environnement de travail industriel et des obligations légales en matière de santé et sécurité du travail, la Cour d’appel termine en disant que le juge de la Cour supérieure a eu raison de conclure que « l’objectif de sécurité des milieux de travail prévalait sur les effets préjudiciables temporaires à la liberté de religion7 ».

  1. Singh c. Montreal Gateway Terminals Partnership, 2019 QCCA 1494.
  2. L.R.C. (1985), c. C-46, art. 217.1.
  3. Singh c. Montreal Gateway Terminals Partnership, 2016 QCCS 4521.
  4. RLRQ, c. C-12.
  5. Ibid., art. 3 et 10.
  6. Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, par. 18.
  7. Supra note 1, par. 43.

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