Les pompiers : plus à risque de cancers que d’autres travailleurs?

Par Claire Thivierge

3 juin 2019

De nombreux dangers et contraintes physiques font partie intégrante du métier de pompier. Ces travailleurs sont d’abord exposés à une panoplie de substances chimiques qui se dégagent des matériaux en combustion durant tout le temps où ils combattent l’incendie. Puis, une fois celui-ci maîtrisé, ils peuvent être à nouveau sujets à l’exposition à certains de ces produits lorsqu’ils déblaient les lieux et, par la suite encore, pendant qu’ils nettoient leurs vêtements de travail, leur appareil de protection respiratoire et leur équipement contaminés.

Au cours de ces étapes, les pompiers peuvent absorber, soit par voie cutanée ou par inhalation, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du benzène, du formaldéhyde et d’autres composés organiques volatils, dont quelques-uns figurent parmi les substances classées cancérogènes pour l’humain par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).

L’exposition potentielle des pompiers à ces substances a donc suscité des questionnements quant à de possibles associations entre leur métier et le développement de certains cancers. C’est dans ce contexte que l’IRSST a publié une revue de la littérature scientifique, complémentaire à celle du CIRC, parue en 2010. L’étude du CIRC concluait que l’exposition professionnelle de ces travailleurs était peut-être cancérogène. La Revue de littérature épidémiologique sur le risque de cancer chez les pompiers de l’IRSST reprend là où l’étude du CIRC s’est achevée.

Le bilan de la recherche

Sous la direction du chercheur Paul G. Brantom, consultant en évaluation des risques, une équipe scientifique a consulté plus de 600 articles sur l’exposition et l’épidémiologie relatives au cancer chez les pompiers publiés de 2007 à 2017. Ils ont retenu 11 études épidémiologiques qui concernent spécifiquement les pompiers, auxquelles s’ajoutent 14 études de cas-témoins effectuées sur des sièges de cancer particuliers. Tous ces travaux scientifiques portent sur de longues périodes d’emploi, soit parfois jusqu’à 40 ans, et certains incluent des cohortes d’envergure, complétant de la sorte les données jusqu’ici disponibles.

Après avoir résumé chacun des 25 documents retenus et en avoir noté la qualité, les chercheurs ont pu tirer des résultats en ce qui concerne 21 sièges de cancers en relation avec la profession, compte tenu de l’exposition connue des pompiers à divers produits chimiques. Ils ont classé les éléments de preuve ainsi réunis pour chacun de ces sièges en fonction de deux aspects : le premier, axé sur une association statistiquement significative entre le cancer et le travail de pompier, le second, fondé sur la qualité de l’étude, l’existence d’un mécanisme plausible et la démonstration d’une tendance reliée à la durée de l’emploi. Le tableau de la page précédente résume ces classements et les ajoute aux conclusions de la revue de la littérature du CIRC sur les articles publiés jusqu’en 2007.

Résumé des conclusions sur le cancer chez les pompiers

Siège ou type de cancer Degré d’association statistique** Qualité de la preuve d’association Conclusion antérieure du CIRC (2010a)
CerveauMixteFaibleNon confirmé*
Côlon ou rectum (gros intestin)MixteTrès faibleNon confirmé*
Intestin grêleLimitéeTrès faible
Leucémie – tous les typesLimitéeFaible
Lymphome non hodgkinien (LNH)MixteModéréePossible (environ 20 % d’excès)
MésothéliomeConvergenteForte
Myélome multipleLimitéeTrès faibleNon confirmé*
ŒsophageMixteFaible
Peau – mélanomeMixteFaible à modéréeNon confirmé*
Peau – non mélanomeLimitéeTrès faible
PoumonMixteFaible à modérée
ProstateMixteModéréePossible (environ 30 % d’excès)
ReinMixteFaible à modérée
Tête et cou (incluant larynx et pharynx)LimitéeFaible
VessieLimitéeFaible

* Siège OU type de cancer indiqué par une méta-analyse (LeMasters et coll., 2006), mais non confirmé par le CIRC.

** Association statistique :

Limitée – Une ou deux études faisant état d’une association statistiquement significative, alors qu’un plus grand nombre d’études ne montrent aucune association.

Mixte – Plus de deux études montrant une association statistiquement significative, mais autant d’études ne montrant pas d’association.

Convergente – La majorité des études montrent une association statistiquement significative.

Note : Aucune donnée n’étant disponible en ce qui concerne plus précisément la période de latence des cancers chez les pompiers, les auteurs ont utilisé le consensus international faisant mention d’une période de latence présumée de plus de 10 ans pour la plupart des cancers, de plus de 20 ans pour le cancer du poumon, et de plus de 30 ans pour le mésothéliome, ce qui correspond aux valeurs convenues à l’échelle mondiale, bien qu’un mésothéliome se soit occasionnellement déclaré après une plus courte période.

Des liens ténus

Plusieurs facteurs font que les chercheurs n’ont pu mettre en évidence des certitudes statistiquement solides. Mentionnons notamment le nombre limité d’études pertinentes, leur période de publication relativement courte (soit les travaux parus depuis 2007), l’absence de données détaillées sur l’exposition à des substances précises et la composition extrêmement variable des fumées d’un incendie à l’autre. Ne pouvant donc pas associer certains cancers à la profession de pompier, ils y ont néanmoins décelé des preuves suggestives d’associations.

Leur synthèse des connaissances actuelles permet par contre d’affirmer l’existence d’un nombre excessif de mésothéliomes chez les pompiers actifs il y a plus de 30 ans, ce qui s’explique vraisemblablement par leur exposition à l’amiante. Les scientifiques notent qu’on ne peut par ailleurs entièrement écarter un lien avec le cancer du poumon, associé entre autres à ce même type d’exposition, bien qu’il soit moins marqué. La revue de la littérature de l’IRSST fait également état de cas plus fréquents de lymphomes non hodgkiniens (LNH) et de cancers de la prostate chez les pompiers. Certains des articles considérés rapportent des associations avec les cancers de la vessie, du cerveau, de la tête et du cou, des reins, de l’œsophage et de la peau, de même qu’avec la leucémie. La qualité de la preuve d’association était toutefois plus faible pour ces sièges de cancer.

Plusieurs facteurs potentiels en cause

Il est souvent difficile de tirer des conclusions claires quant à l’association entre le travail et l’apparition de cancers en raison de la présence de plusieurs autres facteurs de risque. Par exemple, l’organisation du travail des pompiers inclut du travail posté, aussi appelé travail en rotation (souvent la nuit), selon lequel des groupes de travailleurs se relaient au même poste. Or, ce mode de fonctionnement est également soupçonné d’accroître le risque de certains cancers. Peuvent aussi entrer en cause des facteurs autres que professionnels chez les travailleurs atteints, dont la consommation d’alcool ou de tabac, l’obésité et l’ethnicité.

Au bout du compte, les données scientifiques des 10 dernières années ont ajouté peu de certitudes à la revue effectuée en 2007. Les chercheurs spécialisés en santé et en sécurité du travail doivent donc continuer de mener des études épidémiologiques, plus approfondies et de longue durée, pour espérer y voir plus clair un jour.

Pour en savoir plus

BRANTOM, Paul G., Ian BROWN, Marc BARIL, Roseanne MCNAMEE.
Revue de la littérature épidémiologique sur le risque de cancer chez les pompiers, R-1011, 147 pages.

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