Des surfaces potentiellement dangereuses
Le personnel d’hygiène et de salubrité des centres de soins en cancérolologie québécois est régulièrement en contact avec des surfaces contaminées par des médicaments dangereux utilisés en chimiothérapie, confirme une étude de l’IRSST.
Bon an, mal an, l’incidence de cancers ne cesse d’augmenter, ici comme ailleurs. En 2020, la Société canadienne du cancer prévoit que 56 800 Québécois recevront un diagnostic de cette maladie. C’est près de 4 000 personnes de plus qu’en 2017. Cette hausse, attribuable au vieillissement et à l’accroissement de la population, suppose une augmentation du nombre de traitements contre le cancer, notamment à l’aide d’antinéoplasiques (ANP). Ces médicaments utilisés en chimiothérapie, certains étant eux-mêmes classés cancérogènes, peuvent avoir des effets toxiques chez les travailleurs qui les manipulent, comme le personnel infirmier et les pharmaciens.
Cependant, on dispose de peu de données sur l’exposition aux ANP par contact cutané du personnel d’hygiène et de salubrité. « Ces travailleurs sont souvent exposés aux contaminants dans les milieux hospitaliers. Malheureusement, on les prend rarement en compte dans les orientations en matière de santé et de sécurité du travail », déplore France Labrèche, chercheuse en Prévention des risques chimiques et biologiques à l’IRSST. Pour déterminer l’exposition potentielle de ces travailleurs à des ANP couramment utilisés, elle et son équipe ont mesuré la contamination des surfaces qu’ils touchent fréquemment en accomplissant leurs tâches d’hygiène et de salubrité dans des centres hospitaliers.
Ce projet pilote a aussi permis de valider l’analyse de sept ANP de plus que les trois pour lesquels le Centre de toxicologie du Québec (CTQ) dispose d’une méthode d’analyse de chromatographie en phase liquide à très haute performance couplée à la spectroscopie de masse, soit le cyclophosphamide, l’ifosfamide et le méthotrexate. Ces sept ANP additionnels sont la gemcitabine, le 5-fluorouracile, la cytarabine, l’irinotécan, le paclitaxel, le docétaxel et la vinorelbine.
Vingt surfaces analysées
L’équipe de chercheurs de l’IRSST s’est rendue dans deux centres hospitaliers de référence en cancérologie pour y décortiquer le travail du personnel d’hygiène et de salubrité. « Nous avons suivi des travailleurs dans leur ronde quotidienne. Nous voulions comparer les surfaces qu’ils touchent à celles touchées par le personnel soignant et de pharmacie, que nous avons aussi observé », explique France Labrèche. L’emplacement des sites de prélèvement a été validé par le comité de suivi de l’étude, composé notamment de représentants de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS) et de centres hospitaliers, dont les propositions ont été ajoutées au protocole de la recherche.
Tous les employés de la pharmacie lavent leurs mains au savon et à l’eau, tandis que 20 % à 25 % des autres travailleurs n’utilisent que de l’alcool, un liquide moins efficace pour diminuer la contamination chimique.
Un peu plus de 100 échantillons de frottis de surface effectués à l’aide de lingettes préhumidifiées ont été prélevés dans chacun des centres hospitaliers. Ils étaient répartis sur 20 endroits potentiellement contaminés dans les diverses unités d’oncologie, dont les poignées de porte, les sièges des toilettes, les couvercles des poubelles de déchets cytotoxiques, les sacs de soluté et l’équipement d’entretien ménager. Une vingtaine de frottis ont aussi été recueillis sur les mains de membres du personnel soignant, de pharmacie et d’hygiène et de salubrité. Toutes les lingettes ayant servi aux prélèvements ont été envoyées au CTQ pour fin d’analyse.
Un lien plus que théorique
Au final, au moins un ANP a été décelé dans 61 % des 212 prélèvements relevés sur les surfaces. Ces résultats ne surprennent guère France Labrèche. « Ce chiffre d’environ deux surfaces contaminées sur trois correspond à nos attentes. C’est quand même un fait connu dans les milieux hospitaliers : les surfaces sont sales et doivent être bien nettoyées », affirme-t-elle. Elle et son équipe ont été un peu surprises par le degré de contamination de la quasi-totalité des toilettes de cliniques de consultation externe. Aussi, tous les échantillons des appuis-bras des fauteuils de patients étaient positifs, un signe que les techniques de nettoyage ne sont pas au point. Les frottis des mains ont montré la présence d’ANP chez 21 % des participants, majoritairement chez le personnel soignant.
La formation : un rôle à jouer?
Tout le personnel infirmier et pharmaceutique a rapporté avoir suivi une formation sur la manipulation des médicaments dangereux, ce qui n’était pas le cas des membres du personnel d’hygiène et salubrité qui ont participé à l’étude. « Une forte proportion du personnel a mentionné toujours porter des gants, alors que quelques personnes ne les portaient que pour certaines tâches. Tous les employés de la pharmacie lavent leurs mains au savon et à l’eau, tandis que 20 % à 25 % des autres travailleurs n’utilisent que de l’alcool, un liquide moins efficace pour diminuer la contamination chimique », ajoute France Labrèche.
Cette étude, la première au Canada à estimer la contamination par les ANP des surfaces nettoyées par les travailleurs d’hygiène et de salubrité en milieu hospitalier, confirme leur exposition potentielle.
Bien qu’il soit impossible de conclure avec certitude qu’ils absorbent ces médicaments dangereux, il va sans dire que des mises en garde et ajustements sont nécessaires. « Il faut mettre l’accent sur les activités de prévention de l’exposition aux médicaments dangereux afin de montrer à ces travailleurs comment bien s’en protéger, entre autres à l’aide de techniques préventives de travail et en utilisant correctement de l’équipement de protection individuelle, comme des gants », conclut France Labrèche.
Pour en savoir plus
LABRÈCHE, France, Capucine OUELLET, Brigitte ROBERGE, Ahmed YENNEK, Nicolas CARON. Antinéoplasiques en milieu hospitalier : étude pilote sur l’exposition potentielle du personnel d’hygiène et de salubrité, R-1090, 84 pages.