Bruit : Innovation dans la caractérisation des matériaux acoustiques
Par Maxime Bilodeau
19 mars 2019
Une méthode innovante d’évaluation des capacités absorbantes des matériaux insonorisants pourrait remplacer la méthode traditionnelle.
Chaque jour, des travailleurs québécois sont exposés à des niveaux sonores nocifs, une exposition coûteuse pour eux et pour la société. Au Québec, la surdité apparaît au premier rang des maladies professionnelles à être indemnisées par la CNESST. Pire encore, des accidents, parfois mortels, surviennent à cause du bruit, lequel masque les avertisseurs sonores, perturbe les communications et réduit la concentration des travailleurs.
Il existe trois manières de contrôler le bruit en milieu de travail. La première, la réduction à la source, voire l’élimination, peut, par exemple, impliquer l’utilisation de machines plus silencieuses ou l’encoffrement d’une machine. « Or, pour des questions de disponibilité ou de coût, cela n’est pas toujours possible pour les entreprises, souligne Olivier Robin, professionnel de recherche au Groupe d’acoustique de l’Université de Sherbrooke (GAUS), qui a participé à une recherche financée par l’IRSST sur ce sujet. C’est ce qui explique la popularité de la seconde approche, soit l’installation de matériaux qui absorbent l’énergie sonore, réduisant l’effet cumulatif des réflexions. » Le port de protections auditives constitue une solution de dernier recours pour diminuer l’exposition au bruit, en raison de ses limites d’efficacité.
Méthode imparfaite
Pour calculer l’efficacité d’un matériau absorbant dans une situation donnée, les acousticiens et autres experts en santé et sécurité du travail (SST) se fient à son coefficient d’absorption sonore. Ce coefficient, dont la valeur varie entre 0 (non absorbant) et 1 (100 % absorbant), est habituellement mesuré dans des conditions de champ acoustique diffus, dans une chambre réverbérante. Lorsqu’on y dispose un matériau insonorisant, cela réduit la réflexion des ondes sonores. « On compare le temps de réverbération d’une chambre vide à celui de la même chambre dans laquelle on trouve un échantillon du matériau de dimensions connues. Cela fournit une valeur pour le coefficient d’absorption », indique Olivier Robin.
Cette méthode présente plusieurs inconvénients. Ainsi, les dimensions de la chambre réverbérante qu’exigent les normes (150 mètres cube minimum) la confinent à des mesures en laboratoire. Elle est aussi très peu reproductible : la caractérisation d’un même matériau dans un nombre x de chambres réverbérantes différentes pourra donner x valeurs différentes de coefficients d’absorption sonore. Les surfaces des matériaux doivent aussi être de bonnes dimensions (7 à 12 m2 au minimum selon les normes), mais son principal défaut, c’est l’éventuelle obtention de résultats théoriquement impossibles, synonymes d’imprécision. « Pour certains matériaux, on aboutit régulièrement à des coefficients d’absorption d’une valeur supérieure à 1. Cela a de l’importance pour les praticiens : ils doivent faire des approximations pour leurs calculs prévisionnels, souvent estimer à la hausse la quantité de matériaux absorbants requis et réaliser des vérifications intermédiaires. Cela a aussi un effet sur le coût final de l’installation de traitements insonorisants », déplore Olivier Robin.
- Travailleur dans un local bruyant
- Solution de type encoffrement
- Solution de type « réduction de la transmission »
- Port de protecteurs auditifs
Une solution alternative innovante
Les travaux menés avec l’équipe d’Alain Berry, professeur à la Faculté de génie mécanique de l’Université de Sherbrooke, proposent une méthode alternative à celle de la chambre réverbérante. Cette approche consiste à mesurer les niveaux de pression acoustique avec des microphones fixes, situés à proximité d’un échantillon du matériau insonorisant à tester, en déplaçant une source sonore face à celui-ci. Les données recueillies servent ensuite à synthétiser virtuellement un champ acoustique diffus, ce qui permet le calcul d’un coefficient d’absorption plus fiable. C’est du moins la théorie.
Pour la prouver, les chercheurs, en collaboration avec le comité de suivi de la recherche, ont sélectionné plusieurs matériaux, la plupart couramment utilisés en milieu de travail (fibre de verre, panneaux de fibre de verre à haute densité, mousse de polyuréthane, tuiles de plafond et laine de roche). Le but : calculer leur coefficient d’absorption en laboratoire de manière traditionnelle (avec une chambre réverbérante), puis comparer les résultats à ceux de l’approche proposée et par simulation numérique. En outre, les chercheurs ont mis leur méthode à l’épreuve hors laboratoire, notamment dans l’atelier de fabrication de la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke. « C’est un contexte spécifique à un milieu industriel, où les niveaux de bruit ambiant, ainsi que l’effet de réverbération, sont généralement important », explique Olivier Robin.
Malgré tout, les résultats confirment dans l’ensemble la robustesse de la méthode novatrice. Les mesures d’absorption des divers matériaux qu’elle a servi à calculer sont généralement plus proches de celles qu’on obtient par simulation numérique que par la méthode de la chambre réverbérante. Les surfaces utilisées sont plus petites, soit de l’ordre de 1,5 m2. Autrement dit : l’approche proposée est précise, utilisable en dehors d’un laboratoire et peu sensible aux bruits parasites, ce qui en fait une solution alternative intéressante à la méthode traditionnelle. Son seul défaut concerne l’imprécision des mesures réalisées à basse fréquence (inférieures à 400 Hz). « Nous pensons être en mesure de résoudre ce problème dans la phase de traitement virtuel des données en utilisant des modèles plus précis. Dès lors, nous serons en mesure de proposer quelque chose de véritablement supérieur à la méthode de la chambre réverbérante », conclut Olivier Robin.
Pour en savoir plus
ROBIN, Olivier, Celse KAFUI AMÉDIN, Alain BERRY, Noureddine ATALLA, Olivier DOUTRES, Franck SGARD. Méthodologie innovante pour la caractérisation des matériaux acoustiques en laboratoire et étude de son applicabilité sur le terrain, R-1022, 119 pages.