Bruit au travail : vers des matériaux absorbants mieux caractérisés
Par Maxime Bilodeau
12 mars 2024
Une équipe de recherche financée par l’IRSST, l’institut de recherche québécois de la santé et la sécurité du travail, élabore une méthode innovante de caractérisation en laboratoire des traitements absorbants dans les basses fréquences.
Le bruit est un enjeu de santé publique. D’ici 2050, une personne sur quatre souffrira de déficience auditive à divers degrés, indique le premier rapport mondial sur l’audition de l’Organisation mondiale de la Santé paru en 2021. Les milieux de travail sont aussi concernés.
Preuve de l’importance de ce sujet en matière de santé et de sécurité du travail, la province a abaissé en juin 2023 la limite d’exposition quotidienne des travailleurs et travailleuses au bruit, interdisant désormais l’exposition à des niveaux sonores de plus de 85 dB(A) pour 8 h de travail. Ce faisant, le Québec s’aligne sur les exigences réglementaires en vigueur dans plusieurs autres provinces canadiennes et autres pays. Auparavant, la limite d’exposition quotidienne se situait à 90 dB(A) pour 8h de travail.
« Cette baisse est significative. Imaginez : si une machine produit 80 dB(A) dans un atelier, dix machines identiques produiront 90 dB(A). Atteindre un niveau de 85 dB(A) demande alors d’éteindre sept machines sur les dix », illustre Olivier Robin, professeur au Département de génie mécanique de l’Université de Sherbrooke. Avec des collègues de l’École de technologie supérieure (ÉTS) et de l’IRSST, le chercheur signe une étude sur la caractérisation de la performance des matériaux absorbants d’un point de vue acoustique.
Pour de meilleurs calculs
Ces mousses, laines et autres panneaux isolants permettent de diminuer la propagation du bruit dans l’environnement. Après la réduction à la source, il s’agit de l’approche la plus efficace pour réduire l’exposition au bruit dans les milieux de travail, et ce bien avant le port d’équipement de protection individuelle. La performance d’un matériau insonorisant est caractérisée par son coefficient d’absorption. Concrètement, un matériau qui n’absorbe pas d’énergie à une fréquence donnée aura un coefficient d’absorption de 0. S’il absorbe toute l’énergie à cette même fréquence, son coefficient sera de 1. Toutefois, la méthode de calcul du coefficient d’absorption d’un traitement insonorisant est basée sur des approches qui accusent leur âge, soit plus d’un siècle !
« La méthode de la chambre réverbérante manque de précision, ce qui occasionne une grande variabilité des résultats entre les laboratoires de test et les valeurs d’absorption obtenues », explique Olivier Robin. On peut arriver à des valeurs supérieures à 1, qui ne sont pas directement utilisables. Même les méthodes alternatives élaborées au fil du temps se butent encore à ce problème et sont peu précises, surtout dans le domaine des basses fréquences. C’est un souci, car autant il est facile d’absorber les hautes fréquences (les sons aigus) avec peu de matériau, autant une bonne absorption des basses fréquences (les sons graves) demande une quantité importante de matériau. Problème : plus on doit en mettre, plus c’est cher et plus il est important de connaitre la quantité optimale.
L’équipe de recherche a conçu deux nouvelles approches de calcul du coefficient d’absorption. Pour ce faire, elle a mis au point un « banc de mesure robotisé qui permet d’améliorer la précision des mesures », souligne le chercheur. Puis, elle a comparé ces approches inédites tour à tour à une méthode de caractérisation datant d’il y a quelques années et à une autre, prometteuse, tirée de la littérature scientifique.
Mission accomplie
Le but étant de repousser les limitations en basses fréquences autrefois observées a été atteint. Les nouvelles approches permettent de mieux mesurer le coefficient d’absorption de matériaux insonorisants en basses fréquences et d’éviter l’obtention de valeurs ne dépassant pas une valeur unitaire. Ainsi, cela améliore la précision des calculs numériques et des dimensionnements des traitements insonorisants.
En fin de compte, ces résultats démontrent que l’on peut améliorer la caractérisation des traitements visant la réduction du bruit au travail. « Une meilleure caractérisation des matériaux insonorisants est synonyme d’un contrôle plus optimal du bruit en milieu de travail. Il rend possible l’application de la bonne quantité de mousse, de laine ou de panneaux pour atteindre l’objectif, qui est de réduire l’exposition quotidienne des travailleurs et travailleuses au bruit », affirme Olivier Robin.
Le banc d’essai créé pour réaliser ces travaux demeure au laboratoire commun de l’ÉTS et de l’IRSST de l’Infrastructure en acoustique pour la recherche. Il pourra donc servir pour les besoins d’autres recherches ou pour des travaux de caractérisation de matériaux insonorisants. « Qu’un tel banc de mesure existe désormais et soit accessible est une bonne nouvelle. Il s’agit d’une avancée majeure en matière de gestion du bruit au travail », conclut le chercheur.
Pour en savoir plus
Chercheurs : Alain Berry et Olivier Robin, Université de Sherbrooke, Thomas Dupont, École de technologie supérieure, et Franck Sgard, IRSST