Un pas vers la thermorégulation intelligente
Par MAXIME BILODEAU
13 juin 2023
Illustration : Julien Castanié
L’avènement d’équipements de protection individuelle dotés de thermorégulation intelligente n’est qu’une question de temps, rapporte une équipe de recherche de l’IRSST.
Froid sibérien ou chaleur suffocante, même combat. Au Québec, on estime que 510 000 personnes sont susceptibles d’être exposées à des températures extrêmes en accomplissant leur travail. De fait, les contraintes thermiques figurent parmi les risques physiques les plus présents dans divers secteurs — construction, mines, fabrication et transformation des aliments, etc. En plus de diminuer la productivité, l’exposition plus ou moins prolongée à ces contraintes peut causer, à la fois directement et indirectement, des lésions graves, des accidents et même des décès en milieu de travail.
Lorsqu’il n’est pas possible d’enrayer le problème à la source, la réglementation oblige la main-d’œuvre à porter des équipements de protection individuelle (EPI) adaptés aux conditions ambiantes. Or, dans quelques situations, les EPI utilisés s’avèrent imparfaits à bien des égards ; certains les trouvent inconfortables, lourds et encombrants. Dans quelques cas, ils peuvent accentuer un état de stress thermique en altérant par exemple la dissipation de la chaleur ou en isolant mal le froid. Résultat : certains individus pourraient être peu tentés de les porter régulièrement, ce qui a pour effet d’amplifier les situations à risque.
L’intégration de textiles intelligents dans les EPI pourrait potentiellement corriger le problème. « Ces technologies pourraient améliorer le confort thermique en fournissant une thermorégulation intelligente dans le contexte du travail sous forme de refroidissant pour les environnements chauds et sous forme de chauffage pour les environnements froids », affirme Alireza Saidi, chercheur à l’IRSST. Avec Chantal Gauvin, professionnelle scientifique à l’Institut, cet expert en génie textile cosigne le rapport intitulé L’État de l’art sur les technologies actuelles facilitant une gestion thermique intelligente dans les équipements de protection individuelle.
Données scientifiques et techniques
Cette étude représentait d’abord une occasion pour les scientifiques de dresser une revue de la littérature sur le sujet. Le but : faire le point sur l’état des connaissances, jugé insatisfaisant au moment de collecter les données, en 2019-2020. Ils ont répertorié plus de 1 200 articles publiés dans des revues savantes et, du lot, en ont sélectionné 232 méritant un examen poussé. « En parallèle, nous avons aussi recensé les technologies disponibles sur le marché avec l’aide des fabricants », précise Alireza Saidi, en référence aux produits commerciaux destinés entre autres aux domaines du sport.
Les scientifiques ont ensuite analysé la base de données ainsi constituée selon quatre catégories distinctes, soit la détection du stress thermique en temps réel, les capteurs de température, les actuateurs chauffants et ceux qui refroidissent l’organisme. « Nous souhaitions juger de la transférabilité à moyen et à long termes des diverses technologies de textiles intelligents aux EPI, donc de la faisabilité de leur adaptation à une utilisation en santé et en sécurité du travail », mentionne le chercheur.
Plusieurs constats d’ordre général ressortent de cette recherche. Ainsi, si les technologies de textiles intelligents favorisant une meilleure thermorégulation existent bel et bien, elles sont très peu utilisées dans les EPI. C’est notamment le cas des actuateurs permettant la gestion thermique active, en particulier les éléments chauffants, qui entrent dans la confection de divers types de vêtements, mais pas dans un contexte de santé et de sécurité du travail. « Dans les faits, rares sont les travailleuses et travailleurs qui y ont accès à l’heure actuelle », précise Alireza Saidi.
Transferts technologiques
Il y a heureusement matière à nourrir l’espoir. Dans les prochaines années, l’enjeu repose sur l’optimisation des solutions offertes sur le marché, voire sur leur adaptation pour qu’elles correspondent mieux aux réalités des milieux de travail. Le rapport énumère plusieurs pistes en ce sens, notamment de tirer meilleur parti « des méthodes de détection indirectes de la température centrale du corps à partir de la fréquence cardiaque pour s’affranchir des méthodes intrusives comme la pilule télémétrique ».
En regard des avantages et des limites des concepts et des produits retenus dans cette étude, des technologiques des domaines du sport et des loisirs pourraient être transférées vers celui de la santé et de la sécurité du travail. L’équipe de l’IRSST s’efforce d’ailleurs d’intégrer des systèmes refroidissants dans les EPI pour abaisser la température corporelle lors des efforts physiques au travail. « Il s’agit d’une occasion en or de faire de la recherche appliquée en partenariat avec l’industrie », conclut le chercheur Alireza Saidi.
Pour en savoir plus
Rapport de recherche : irsst.info/r-1172