L’air, un vecteur méconnu de transmission des infections dans les hôpitaux
Par Suzanne Blanchet
30 juillet 2015
Les travailleurs du milieu de la santé sont à risque d’attraper une grippe ou de faire une gastroentérite même lorsque leurs tâches ne les mettent pas en contact direct avec des patients porteurs du virus de l’influenza ou de norovirus.
Les équipes de prévention des infections sont très proactives dans les hôpitaux et les centres locaux de soins de longue durée (CHSLD). « Elles font du beau travail en instaurant, par exemple, des programmes de lavage des mains ou des procédures « de nettoyage des chambres et de l’équipement, estime Caroline Duchaine, professeure titulaire au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique de l’Université Laval. Malheureusement, les gens connaissent moins les risques liés à la transmission de certains virus par l’air. »
En effet, bien que des efforts considérables soient faits pour endiguer les infections nosocomiales sur le terrain, ce problème perdure et tend à se complexifier : résistance aux antibiotiques, souches plus virulentes, etc. Le risque auquel est exposé le personnel qui travaille dans les milieux de soins doit donc être revu et redéfini sur les bases des nouvelles approches d’analyse moléculaire des bioaérosols.
Enrichir les connaissances
L’étude pilote Détection des virus respiratoires et entériques en milieu hospitalier, à laquelle Caroline Duchaine a participé, avait d’abord pour objectif de documenter les risques que courent les travailleurs qui gravitent autour de patients infectieux, sans nécessairement leur donner des soins, soit le personnel affecté aux services alimentaires ou en hygiène et salubrité, par exemple. Or, on dispose de peu de données sur les concentrations du virus de l’influenza, à l’origine de la grippe, et des norovirus, responsables de la gastroentérite. Cela n’est guère étonnant puisque, dans la littérature scientifique actuelle, on ne trouve aucun moyen de déterminer le meilleur protocole pour détecter la présence, dans l’air, de ces virus qui provoquent des infections chez les travailleurs du milieu de la santé.
Afin d’enrichir les connaissances sur leur dissémination, les chercheurs visaient, par cette activité exploratoire, à valider la mise en place de méthodes permettant de détecter la présence des virus. Ils avaient aussi pour objectif d’évaluer s’il était possible d’appliquer ces méthodes, ainsi que les données préliminaires obtenues, pour réaliser une étude de plus grande envergure sur ce sujet.
Repenser la façon de protéger les travailleurs
L’échantillonnage de l’air dans une salle d’urgence de la région de Québec, dans un centre hospitalier et dans huit centres d’hébergement a mis à l’épreuve deux appareils, dont l’un s’est révélé plus efficace que l’autre (voir l’encadré). « Nous avons pu démontrer qu’avec les méthodes utilisées, nous pouvions détecter les virus dans l’air en milieu hospitalier. Donc, les méthodes sont bonnes et les virus, assez concentrés pour qu’on puisse les détecter », note Caroline Duchaine.
De fait, les chercheurs n’ont guère été surpris de constater la présence du virus de l’influenza dans le quart des échantillons prélevés, car chacun sait qu’une personne qui a la grippe libère des gouttelettes lorsqu’elle tousse ou éternue. Ils ont cependant été étonnés de trouver des norovirus dans près de la moitié des échantillons. « Nous avons détecté des milliers de virus de la gastroentérite par mètre cube d’air ailleurs que dans les chambres des patients », souligne Caroline Duchaine.
Les personnes qui donnent des soins sont donc à risque, en dépit de leur matériel de protection, puisqu’elles se débarrassent des gants, du masque et de la jaquette en quittant la chambre d’un malade, alors qu’elles peuvent être en contact avec les virus aussi bien en sortant dans le couloir qu’en s’affairant au poste des infirmières.
Contrairement à la croyance populaire, il n’est pas nécessaire de toucher à un patient pour attraper sa gastroentérite. Lui parler depuis la porte sans porter un masque augmente le risque, un comportement fréquemment observé lorsqu’un patient se trouve dans une chambre d’isolement. Changer la couche d’une personne atteinte de gastroentérite ou nettoyer le plancher où elle a vomi requiert également le port d’un masque. « Ce virus est tellement infectieux que s’il y en a un peu dans l’air, il peut se loger dans la gorge du travailleur, qui contracte alors la gastroentérite par les aérosols, explique Caroline Duchaine. Il est donc essentiel de repenser la façon de protéger les travailleurs et de sécuriser les zones à risque. Il y a beaucoupd’éducation et de sensibilisation à faire. Nous espérons que notre étude contribuera à amorcer la réflexion à propos de la biosécurité dans les hôpitaux. De notre côté, nous aimerions que d’autres études soient menées, notamment sur les moyens de désinfecter l’air dans les chambres à l’aide de filtres à particules de type HEPA (High Efficiency Particulate Air), par exemple. »
Les conclusions du rapport seront publiées dans une revue scientifique et transmises aux établissements qui ont généreusement prêté leur contribution à la recherche. Le rapport sera également remis au Comité sur les infections nosocomiales du Québec.
La méthode
L’étude pilote avait pour but de mettre en place et d’évaluer des méthodes visant à détecter la présence de virus dans les milieux de soins. Dans leur rapport, les auteurs expliquent comment ils ont procédé et quel matériel ils ont utilisé, tableaux et graphiques à l’appui. Ils ont mis deux appareils à l’épreuve.
Lorsque les chercheurs ont effectué les échantillonnages dans les salles d’attente, de triage et d’examen ainsi que dans un corridor d’une urgence de la région de Québec, ils ne pouvaient savoir si les patients qui s’y présenteraient seraient ou non porteurs du virus de l’influenza. Ils ont utilisé des appareils NIOSH 251 reliés à des pompes Gilian2. Malgré l’incertitude liée à l’état infectieux des visiteurs à l’urgence, le NIOSH 251 a permis de détecter la présence de virus Influenza A et B, démontrant la faisabilité du protocole. Cet appareil pourrait donc servir à réaliser des échantillonnages sentinelles ciblés pour détecter la présence de virus malgré des mesures de confinement et ainsi justifier l’utilisation de moyens de protection individuelle par les employés et les visiteurs.
La présence de virus de l’influenza et de norovirus a par ailleurs été mesurée et décelée dans des unités de soins d’un centre hospitalier et de huit CHSLD, cette fois à l’aide de l’échantillonneur à haut débit Coriolis μ, de la compagnie Bertin Technologies. Contrairement aux échantillonnages menés à l’urgence, les chercheurs disposaient de renseignements sur l’état infectieux des patients qui occupaient les chambres à l’étude. Des échantillons ont aussi été prélevés dans les couloirs attenants ainsi qu’à des postes d’infirmières. L’appareil utilisé a permis d’obtenir un volume d’air considérable et ainsi de bien évaluer la quantité de virus par mètre cube d’air au moment de l’échantillonnage. Les deux techniques utilisées ont permis de récolter des virus infectieux. Toutefois, les chercheurs ont constaté que le NIOSH 251 retenait un plus grand nombre de particules virales.
Pour en savoir plus
DUCHAINE, Caroline, Marc VEILLETTE, Julie JEAN, Yves LONGTIN, Laetitia BONIFAIT, Nathalie TURGEON, Rémi CHARLEBOIS. Détection des virus respiratoires et entériques en milieu hospitalier – Une étude pilote, Rapport R-861, 44 pages.