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HÉBERT, Sylvie, Philippe FOURNIER, Marc SCHONWIESNER. Modulation du gain auditif central dans une perspective de réadaptation des travailleurs souffrant d’acouphènes, R-979, 56 pages.
Par IRSST
12 février 2018
Une personne qui vit avec un acouphène perçoit des sons qui n’ont pas de source externe réelle. Les acouphènes se manifestent sous forme de bourdonnements, de tintements, de sifflements, de pulsations ou d’autres sensations auditives. Ils affectent une seule oreille ou les deux.
Les causes des acouphènes sont nombreuses, mais ils résultent souvent de dommages à l’appareil auditif subis en raison, par exemple, d’une exposition à des niveaux de bruit trop élevés. Les acouphènes s’accompagnent aussi fréquemment d’une hypersensibilité au bruit. Selon leur intensité et leur fréquence, ils nuisent parfois considérablement à la qualité de vie des personnes qui en souffrent, de même qu’à leur capacité de retour au travail. Ils peuvent notamment causer des dérèglements physiologiques similaires à ceux des maladies liées au stress, à l’anxiété, à la dépression ou encore, une hypersensibilité auditive.
Sylvie Hébert est chercheuse au Laboratoire de recherche sur le cerveau, la musique et le son de l’Université de Montréal. « L’acouphène est un problème assez courant, parfois très handicapant, et les cliniciens ne disposent pas de protocoles clairs pour l’évaluation et la prise en charge des personnes touchées. » Les travaux de son équipe visent à améliorer la situation et à aider ces personnes en s’appuyant sur les théories actuelles des neurosciences sur le « gain central ». Selon ces théories, précise-t-elle, « l’acouphène et l’hyperacousie (l’hypersensibilité au bruit) seraient causés par une hyperactivité du cerveau et des voies auditives ».
Le système auditif se divise en deux parties. La première, le système périphérique, se compose de l’oreille externe (pavillon et conduit auditif externe), de l’oreille moyenne (tympan et osselets), de l’oreille interne (cochlée) et du nerf auditif. La seconde partie, le système auditif central, est constituée des voies auditives du tronc cérébral, qui effectue les relais vers le cerveau et le cortex, et du cortex auditif lui-même, soit la zone du cerveau liée à l’audition.
Le modèle nommé « gain auditif central » est en fait un cadre conceptuel servant à intégrer et à comprendre les adaptations observées dans le système auditif. Ce modèle explique comment le système auditif module sa réponse lorsque les conditions acoustiques changent.
Des études ont en effet déjà établi que si l’on fait porter des bouchons d’oreilles à des sujets ayant une audition normale, leur sensibilité auditive augmente. Si, au contraire, d’autres sujets portent des générateurs de bruit, leur sensibilité aux sons diminue. Les essais réalisés à ce jour étaient uniquement de nature comportementale et reflétaient la perception et le jugement subjectifs. Bien qu’il s’agisse de mesures globales intéressantes, elles ne permettent pas de localiser le siège physiologique du gain central. Quant à la mesure des réflexes stapédiens (une réaction du système auditif qui rigidifie la chaîne des osselets pour se protéger des sons trop forts), elle reflète la contribution du tronc cérébral. Cependant, il ne s’agit là encore que d’une simple portion du système auditif complet.
La question de l’existence même du gain auditif central, et d’autant plus celle de sa localisation, restaient donc entières. Voilà pourquoi les chercheurs ont décidé, poursuit Sylvie Hébert, « de passer en revue tous les relais du système auditif pour lesquels des tests existent, de la cochlée au cerveau, pour déterminer d’où vient l’hyperactivité. Est-ce qu’on observe un gain, une augmentation de l’activité neurale, et si oui, à quel endroit ? C’était la première partie de notre étude, qui portait sur des sujets adultes ayant une audition normale ».
Cette exploration du système auditif complet, du comportement jusqu’au cortex, pose de nouveaux jalons dans le domaine. « Auparavant, dans les tests avec des sujets humains, aucun laboratoire n’avait tout ce qu’il fallait pour aller distinguer les réponses dans différentes parties du système auditif. Nous sommes les premiers à le faire ; c’est une étude extrêmement complexe, commente la chercheuse. Certaines des méthodes employées existaient déjà en clinique ; d’autres avaient été élaborées pour la recherche, d’autres encore ont été créées par notre laboratoire. »
L’étude démontre que le mécanisme d’adaptation du gain s’effectue au niveau le plus élevé du système auditif, c’est-àdire au cortex. En effet, aucune modification n’a été observée aux niveaux inférieurs des voies auditives, soit à la cochlée, dans le tronc cérébral ou aux réponses du nerf auditif.
« Nous avons effectivement observé une augmentation de l’activité dans le cortex après le port de bouchons et une diminution après le port de générateurs de bruit. La modulation effectuée par le gain central a donc été clairement observée au cortex auditif ; c’est un constat majeur. »
Des travaux précédents ont proposé qu’un mécanisme de gain central inadapté, c’est-à-dire trop actif, serait responsable des troubles d’acouphène et d’hyperacousie. Selon ce modèle, l’acouphène résulterait d’une hyperactivité neuronale spontanée, alors que l’hyperacousie découlerait d’une hyperactivité provoquée par les sons externes. Bref, le gain central auditif serait altéré de façon chronique chez les gens qui présentent un acouphène ou de l’hyperacousie.
Sachant que l’acouphène s’accompagne souvent de dommages périphériques, par exemple à la cochlée, les chercheurs ont voulu savoir s’il était quand même possible de diminuer le gain central chez des personnes atteintes en leur faisant porter des générateurs de bruit. Selon cette hypothèse, un retour à la normale des mécanismes d’adaptation du gain devrait se manifester par une diminution de la sensibilité au bruit externe et de l’intensité de l’acouphène perçu.
À la base, ce sont des prothèses auditives, qui présentent donc les fonctions d’amplification normale pour des personnes ayant subi une perte auditive. Plusieurs de ces appareils comportent aussi maintenant des fonctions de génération de bruit « antiacouphènes ». Dans l’étude, la fonction d’amplification était inactive, le même bruit étant généré pour tous les participants, qu’ils aient ou non une perte auditive.
Les participants ont porté des générateurs de bruit pendant trois semaines. Des mesures auditives et psychométriques ont été prises avant l’intervention, puis après une, deux et trois semaines de port, et finalement, un mois suivant la fin de la participation des sujets.
Cette étude est la première à évaluer à la fois la perception interne de l’acouphène par une évaluation psychoacoustique et les fonctions d’audition de sons externes connus. « Nous avons mesuré avec précision tout le spectre de fréquence et d’intensité de l’acouphène, ajoute Sylvie Hébert. C’est très rare, et nous avons publié plusieurs articles sur le sujet ; c’est une mesure très fiable. »
Les résultats obtenus en laboratoire suggèrent que le port de générateurs de bruit diminue la sensibilité aux sons externes et réduit la sensation de l’acouphène, et cela de façon plus importante dans le groupe qui n’avait pas subi de perte auditive. L’intensité subjective de l’acouphène et le dérangement qu’il occasionne ont aussi diminué avec le traitement.
Les générateurs de bruit seraient-ils la solution au problème de l’acouphène ? Sylvie Hébert explique : « Ils ne seront pas une solution pour tout le monde, et nous n’en sommes pas encore au niveau de détail requis pour faire des recommandations, mais la recherche va se poursuivre. Pour les personnes ayant des pertes auditives, une option possible serait une combinaison de génération de bruit et d’amplification. Mais nous ne l’avons pas testé dans la présente étude. »
De grandes avancées ont été réalisées et il est permis d’espérer, puisque la modulation du gain central est un paradigme potentiellement puissant pour la réadaptation. Mais de nombreuses questions subsistent. Par exemple, les résultats étaient plus mitigés pour les personnes atteintes d’une perte auditive. Pourraient-elles bénéficier davantage de l’effet du générateur de bruit en activant la fonction « amplification » ? Les résultats seront-ils confirmés avec un plus grand nombre de sujets ? Quelle est la durée optimale du traitement ? Peut-on observer la modulation du gain central dans le cortex des personnes qui ont des acouphènes ? Les chercheurs travaillent déjà à répondre à ces questions.