Travail saisonnier : Comment prévenir les troubles musculosquelettiques
Par Catherine Couturier
17 novembre 2020
Foresterie, agriculture, pêches, transformation alimentaire, services publics, fabrication… Le travail saisonnier est le moteur économique de nombreuses régions du Québec. Pourtant, peu d’études se sont attardées au lien entre ce contexte de travail et les situations à risque de troubles musculosquelettiques (TMS).
Saisonniers récurrents, saisonniers de transition, saisonniers mobiles, étudiants, saisonniers qui alternent d’une récolte à l’autre : malgré la diversité que revêt le concept du travail « saisonnier », il reste mal connu. Marie-Eve Major et son équipe de recherche, avec notamment la collaboration du chercheur Pascal Wild, de l’INRS, en France, ont donc voulu mieux comprendre ce contexte et ses effets sur l’évolution des troubles musculosquelettiques chez les travailleurs saisonniers. « Cette recherche fait suite à mon projet de doctorat, qui s’était déroulé en contexte de travail saisonnier, dans des usines de transformation alimentaire de produits de la mer », explique cette ancienne boursière de l’IRSST, maintenant professeure à la Faculté des sciences de l’activité physique de l’Université de Sherbrooke et chercheuse au Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE). Bien qu’il puisse à première vue sembler relativement marginal sur le marché de l’emploi, le travail saisonnier est une réalité courante au Québec, comme dans plusieurs pays, et central pour plusieurs régions et secteurs d’activité.
Réalité méconnue
Les chercheurs ont d’abord voulu décrire le travail saisonnier, un terme peu défini et pourtant largement utilisé, « qui revêt une grande complexité », précise Marie-Eve Major. La revue de la littérature a également permis de recenser des situations à risque de TMS et leurs déterminants (causes) selon une approche d’analyse systémique, ainsi que d’examiner des interventions implantées en contexte de travail saisonnier en examinant les composantes des processus des interventions. Les résultats de cette première étape font ressortir que les actions de prévention des TMS empruntent souvent à celles du travail régulier, sans penser à l’effet de la condition saisonnière sur leur pertinence. Or, « le temps compressé, la dépendance envers la disponibilité d’une ressource naturelle, les expositions interrompues doivent être considérés dans le développement des interventions, comme dans les études réalisées dans un tel contexte, explique la chercheuse. On s’est aperçu que l’on connaît très peu les processus ou les mécanismes d’intervention propres au travail saisonnier, contexte qui doit être pris en compte lorsqu’on met en place des actions visant la prévention des TMS », constate Marie-Eve Major. Ces résultats pourraient contribuer à agir efficacement pour diminuer le nombre et la gravité des blessures rapportés dans la littérature, plus élevés chez les travailleurs saisonniers que chez les permanents d’une même équipe qui réalisent des tâches identiques ou similaires et, notamment, chez les saisonniers récurrents, soit ceux qui reviennent année après année, suivant une période d’inactivité, et qui présentent une vulnérabilité particulière.
Le deuxième objectif de l’étude consistait à développer une méthode d’analyse du suivi longitudinal de certains indicateurs de l’état de santé musculosquelettique de travailleuses saisonnières. « Ce qu’on entend, c’est que la période hors-saison permet de récupérer », affirme Marie-Eve Major. Les données analysées ont permis d’élaborer une méthode d’analyse du suivi longitudinal des TMS reposant sur une série d’indicateurs et de profils, laquelle a révélé, au contraire, « le caractère chronique de certaines douleurs rapportées par ces travailleuses saisonnières et la difficulté de récupérer d’une saison à l’autre », constate la chercheuse.
Grande variabilité
Cette recherche souligne la diversité des travailleurs saisonniers, mais également des profils de douleur. « En dépit du fait que les travailleuses proviennent toutes d’un milieu de travail similaire, qu’elles sont soumises à des contraintes temporelles semblables et que l’on pourrait être porté à penser qu’elles sont soumises à des sollicitations musculosquelettiques relativement similaires, des variations importantes des douleurs ont été relevées. Ces variations concernent les régions corporelles rapportées, le nombre de régions avec des douleurs, ainsi que l’intensité des douleurs rapportées d’une travailleuse à l’autre et chez une même travailleuse selon les cas. Le suivi longitudinal réalisé durant cette étude met en évidence une variation des douleurs au cours du temps, et ce, d’une saison à l’autre, au cours d’une même saison et même entre le début et la fin d’une journée de travail », signale la chercheuse. Certaines travailleuses ont des douleurs spécifiques, d’autres diffuses, à différentes parties du corps, tout en accomplissant le même travail. L’intensité de la douleur peut évoluer dans le temps, au fil de la saison. « La douleur n’évolue pas de façon similaire d’une travailleuse à l’autre, et même chez la même travailleuse au fil des saisons », précise Marie-Eve Major.
Pour arriver à ces constats, l’équipe a analysé un imposant corpus de données, composé de 135 000 scores de douleur, des indices d’impacts de la douleur et des données qualitatives provenant d’observations et d’entretiens. L’enjeu était de parvenir à développer une méthode d’analyse sensible à cette variabilité, c’est-à-dire qui permettrait de saisir, de décrire et d’intégrer les diverses formes que peut prendre cette variabilité. Ainsi, « la démarche globale de développement favorisée a reposé sur des approches complémentaires et séquentielles d’analyses qualitatives et statistiques », relate Marie-Eve Major. C’est ce qui a amené les chercheurs à établir des indicateurs et des profils pour suivre l’évolution des TMS. L’équipe interdisciplinaire a décrit cette variabilité de leur caractère fluctuant au cours du temps, qui faisait la richesse des données. Même si cette recherche s’est attardée à l’industrie de la transformation alimentaire, certaines conclusions pourraient être transférables à d’autres secteurs d’activité en contexte de travail saisonnier, l’agriculture, par exemple, espère la chercheuse.
Temporalité
Un des aspects importants de la méthode d’analyse est la prise en compte des symptômes de douleur rapportés au début et à la fin de chacune des journées de travail de la saison, ce qui ne s’était jamais fait auparavant. « C’est un résultat important qu’on souhaite réinvestir dans d’autres études et qui ont des retombées pour le suivi des TMS en milieux de travail. Le suivi et les indicateurs peuvent s’avérer d’une grande utilité pour fournir des pistes de questionnement pertinentes à l’identification d’éléments ou d’événements pouvant être survenus dans le cadre du travail ou encore, pour aider à instruire et à cibler des situations qui s’avèrent prioritaires à la prévention des TMS dans un milieu de travail », constate Marie-Eve Major.
« On mise beaucoup sur la résilience des travailleurs. Mais on se rend compte que, du moins pour les travailleuses étudiées, une chronicité se développe à long terme », affirme la chercheuse.
Cette étude connaît des suites. Une recherche sur le terrain est en cours pour permettre de comprendre les mécanismes, les facteurs qui facilitent ou font obstacle au développement et à l’implantation d’actions préventives des TMS en contexte saisonnier.
Pour en savoir plus
MAJOR, Marie-Eve, Pascal WILD, Hélène CLABAULT. Travail saisonnier et santé au travail : bilan des connaissances et développement d’une méthode d’analyse pour le suivi longitudinal des troubles musculosquelettiques, R-1102, 139 pages.
MAJOR, Marie-Eve, Pascal WILD, Hélène CLABAULT. Travail saisonnier et santé au travail : bilan des connaissances et développement d’une méthode d’analyse pour le suivi longitudinal des troubles musculosquelettiques, Supplément de recherche, RA-1102, 163 pages.