Manutention : les blessures à l’épaule à l’étude

Par Karolane Landry

26 janvier 2021

Chez les manutentionnaires professionnels qui exercent des tâches prolongées, intenses ou répétitives, les blessures au niveau des épaules, telles que des tendinites et des entorses, constituent un grave problème. Les TMS des membres supérieurs sont les plus communs après ceux du dos.

De 1998 à 2007 (Michel et al., 2010), ils représentent 30,1 % des cas de TMS déclarés et acceptés. Parmi les articulations touchées, l’épaule s’avère la plus affectée, avec 46,5 % de ces lésions. Mickaël Begon, professeur à l’École de kinésiologie et des sciences de l’activité physique à l’Université de Montréal et son équipe de chercheurs se sont penchés sur les effets du sexe et de l’expertise sur les contraintes à l’épaule en manutention. En effet, comprendre la biomécanique de l’épaule lors de l’accomplissement de tâches manuelles, notamment au moyen d’analyses comparatives entre des populations plus ou moins à risque, pourrait mener à des recommandations en santé et sécurité du travail. « Nous voulions voir si en faisant de la recherche à la fois expérimentale et basée sur de la modélisation chez différentes populations, nous arriverions à mieux comprendre les risques de blessures », indique Mickaël Begon.

Deux recherches, deux populations

Des études l’ont établi : les femmes et les jeunes travailleurs ayant peu d’expérience sont plus à risque de se blesser à l’épaule. « L’objectif est de développer des outils qui permettent de comprendre ces prévalences. C’est bien d’avoir un point de vue épidémiologique et de savoir que ces populations sont plus à risque, mais est-ce qu’on est capables d’avoir des critères qui permettent de l’expliquer? », demande Mickaël Begon. La première partie de la recherche, impliquant 54 participants, s’est étalée de 2012 à 2016. Elle visait à analyser et à comparer les techniques de manutention au niveau de l’épaule entre les hommes et les femmes. La deuxième partie, qui s’est déroulée de 2016 à 2017, concernait plutôt l’expertise. Il s’agissait d’abord d’observer des manutentionnaires et leurs façons de faire en entreprise. Ensuite, 13 novices et 11 experts de sexe masculin, tous des professionnels de la manutention, se sont prêtés à l’exercice.

Une tâche bien simple

Dans le but de mesurer l’activation des muscles supra-épineux, infra-épineux et sous-scapulaires, les chercheurs ont posé des électrodes intramusculaires et des caméras sur les participants. À l’aide de boîtes instrumentées de 6 kg, 8 kg et 12 kg munies de capteurs, il était ainsi possible de mesurer les forces appliquées par les mains des manutentionnaires. Dans la première phase de la recherche concernant le sexe, ceux-ci devaient déplacer une boîte d’une étagère située à la hauteur de leur bassin à une étagère se trouvant au-dessus de leurs épaules. La seconde étude sur l’expertise a ajouté à cela une rotation du tronc : les participants prenaient une boîte sur une table et la déposaient au-dessus de leur tête, sur une étagère placée derrière.

Les femmes plus à risque de se blesser

Plusieurs études mentionnent que les différences entre les hommes et les femmes dans l’apparition d’un TMS sont principalement associées aux spécificités anthropométriques, à la composition histologique musculaire et aux différences de force. Cependant, aucun indicateur ne prend en compte le mouvement. C’est là où l’équipe de Mickaël Begon se distingue principalement, avec trois indicateurs analysés : cinématique, électromyographique et musculosquelettique.

Les hommes et les femmes déplacent la boîte différemment. « Les femmes utilisent plus leurs épaules directement, alors que les hommes utilisent leur tronc et leurs coudes », commente Romain Martinez, chercheur et étudiant au doctorat en sciences de l’activité physique. « On sait donc que si on veut minimiser le frottement et la compression des muscles de la coiffe des rotateurs entre deux parties osseuses, il faut coordonner l’omoplate, le bras et l’ensemble du corps », ajoute Mickaël Begon.

La contribution de l’articulation glénohumérale dans l’épaule est 14 % plus élevée chez les femmes. Mais lorsque la boîte représente une plus grande proportion de sa masse, celles-ci utilisent davantage les articulations du poignet et du coude, et moins l’articulation glénohumérale. « En ce qui concerne l’indicateur électromyographique, on s’est rendu compte que les femmes ont une activité musculaire plus élevée que les hommes. Évidemment, c’est corrélé avec l’indicateur cinématique : les connaissances sur l’analyse du mouvement des membres supérieurs met en évidence que les techniques de manutention en hauteur diffèrent entre les hommes et les femmes », mentionne Romain Martinez.

L’indicateur musculosquelettique a été calculé à l’aide de modèles mathématiques estimant les efforts internes qui agissent dans les structures articulaires. « On s’est aperçu que les femmes ont des contraintes internes plus élevées que les hommes, surtout pendant la phase de dépôt de la boîte », conclut Romain Martinez.

Risques accrus chez les novices

Plusieurs études prouvent que les manutentionnaires experts utilisent des techniques plus avantageuses que les novices. Celle-ci a démontré que les premiers utilisent moins leur articulation glénohumérale et appliquent de meilleures techniques de travail. En ce qui concerne l’indicateur électromyographique, « l’épaule est beaucoup plus engagée chez les novices, quel que soit le poids de la boîte. Ils ont des activations musculaires 37 % plus élevées que les experts », indique Romain Martinez. Toutefois, l’activation musculaire se modifie en fonction de la masse de la boîte : plus elle est lourde, plus grande est l’activation. D’autre part, les experts utilisent davantage leurs jambes pour soulever la boîte plutôt que de faire une flexion du dos, comme de nombreux novices. Les plus expérimentés montrent une implication accrue de l’ensemble sternoclaviculaire et acromioclaviculaire, ce qui suggère que leur articulation est mieux stabilisée. Les novices font une légère extension du tronc et des membres inférieurs pour aller plus haut, tandis que les experts gardent leurs membres inférieurs en position neutre. « On a désormais une meilleure idée des raisons pour lesquelles il y a des différences au niveau épidémiologique entre les populations ciblées », conclut Mickaël Begon. Les indicateurs développés laissent la porte ouverte à d’autres études en biomécanique. Prochaine étape : les tester dans des milieux de travail.

Pour en savoir plus

GOUBAULT, Étienne, Romain MARTINEZ, Najoua ASSILA, Jennifer DOWNLING-MEDLEY, Élodie MONGA-DUBREUIL, Sophie-Anne SCHERRER, André PLAMONDON, Mickaël BEGON. Effet de l’expertise et du sexe sur les contraintes à l’épaule en manutention, R-1103, 102 pages.

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