La livraison à vélo : en croissance, mais risquée?

Par Joanie Chartrand

1 Décembre 2020

De plus en plus d’entreprises québécoises ont recours à des services de livraison à vélo. Étant plus écologique et parfois plus rapide qu’une voiture, en raison du trafic automobile, la livraison et autres activités commerciales sur deux roues se sont diversifiées au cours des dernières années.

Que ce soit pour la livraison de repas, des déménagements, la vente ambulante ou la simple messagerie de colis, nombreux sont les travailleurs qui utilisent le vélo comme outil de travail, et ce, toute l’année durant. Mais qu’en est-il des risques que courent ces cyclistes? Une étude financée par l’IRSST a permis de mieux les identifier et de comprendre davantage cette industrie florissante.

Les données ont été colligées grâce à deux approches complémentaires, soit des entretiens semi-dirigés et une enquête auprès des travailleurs. « Ce qu’on souhaite avec cette étude, c’est de contribuer à réduire le fardeau d’accidents de la route et de blessures dans une industrie très peu réglementée », explique Ugo Lachapelle, chercheur principal et professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les données recueillies permettront de mettre en place des mesures de prévention d’accidents, de déterminer de meilleures pratiques, tant pour les travailleurs que pour les employeurs, et d’améliorer les conditions de travail.

De nombreux facteurs de risque

La recherche a permis de démontrer que de nombreux facteurs de risque influencent la prise de décisions sur la route des travailleurs à vélo. L’expérience, la forme de rémunération et le type de livraison ou d’activité commerciale peuvent changer la donne. Plus le cycliste est expérimenté, plus il apprend de ses erreurs et reconnaît les situations potentiellement dangereuses. « Selon certains répondants, le fait de travailler depuis plusieurs années, de mieux connaître la ville et ses raccourcis leur procure, au dire de certains répondants, un sixième sens, explique Ugo Lachapelle. Les cyclistes plus expérimentés prennent des risques qu’ils qualifient de contrôlés. » La structure de rémunération est également un facteur qui modifie beaucoup la prise de risque. « Le fait de travailler à commission incite généralement les cyclistes à travailler plus vite et donc, à faire moins attention, voire à enfreindre les règlements », soutient le chercheur. Selon les résultats de l’étude, la rémunération à commission fait en sorte que ces travailleurs roulent plus vite, travaillent même s’ils sont épuisés, franchissent des intersections sans arrêter et se faufilent parmi les voitures. « Ils coupent parfois les coins ronds pour être plus productifs et s’assurer d’un meilleur salaire », conclut Ugo Lachapelle.

Si de nombreux travailleurs utilisent un vélo traditionnel pour transporter de petits colis, d’autres se servent d’un vélo-cargo. « La variété des emplois nous a surpris, explique le chercheur. Il est très intéressant de voir de nouvelles entreprises utiliser ce service, par exemple, certains cafés ou encore certains marchés d’alimentation pour la vente ambulante de fruits et de légumes. » De plus, le type d’activité et le véhicule utilisé peuvent avoir une influence considérable sur la fréquence et la gravité des accidents. « Par exemple, les travailleurs en vélo-cargo font moins de kilomètres, ils sont plus souvent arrêtés et ont généralement un salaire plus stable », soutient Ugo Lachapelle. La livraison à vélo de type conventionnel serait quant à elle plus risquée, selon les données obtenues. « Les automobilistes ne sont pas habitués de voir un vélo-cargo, plus visible sur la route, alors ils ralentissent et font attention, explique-t-il. La trajectoire de ces plus gros véhicules est aussi plus prévisible. Les autres cyclistes risquent davantage l’emportiérage ou de se faire surprendre dans les virages, par exemple. » Les infrastructures cyclables et l’état des routes font également partie des facteurs mis en cause lors d’accidents. Plusieurs travailleurs ont mentionné que les pistes cyclables n’étaient pas adaptées à leur travail et qu’ils préfèrent ainsi se mêler aux voitures sur le réseau automobile.

« Certains trouvent que les utilisateurs de la piste cyclable vont trop lentement, ce qui met en danger la sécurité autant de ces travailleurs que des autres cyclistes, ou tout au moins ralentit la cadence du travail. » Enfin, les nids de poule et les chaussées abîmées sont parfois impliqués dans des accidents.

Comment se protéger?

Les travailleurs à vélo sont nombreux à subir des blessures, dont des entorses, brûlures et ecchymoses. Des blessures graves ont également été rapportées dans le cours de l’étude, comme des ligaments déchirés, une fracture à la clavicule, une mâchoire fracturée, des dents cassées et une commotion cérébrale. « Ce type de blessures peut, et a parfois, mené à des arrêts de travail », mentionne le chercheur. Pour rendre leur emploi plus sécuritaire, la majorité des travailleurs portent un casque, même s’il n’est pas obligatoire, sauf dans le cas des vélos électriques. Il rapporte que 20 % des travailleurs interrogés ne l’utilisent jamais ou presque, alors que 70 % le portent toujours. Outre le casque, l’itinéraire emprunté peut réduire les risques de blessures. Toutefois, rares sont les cyclistes qui accepteront de faire un détour pour voyager de façon plus sécuritaire. Seuls 28,5 % d’entre eux consentent à de telles déviations. « Si ça réduit l’efficacité du déplacement et donc leur gagne-pain, ils sont moins prêts à couper là-dessus », commente Ugo Lachapelle.

Mieux encadrer la pratique

Grâce aux données recueillies, le chercheur espère que les mesures de prévention des accidents seront renforcées. Encadrer davantage la pratique et améliorer les conditions de travail des cyclistes commerciaux sont deux voies à favoriser. « On a constaté que les nouvelles compagnies, souvent locales, qui utilisent la livraison à vélo semblent avoir compris que les employés sont importants et qu’on doit assurer leur sécurité », affirme Ugo Lachapelle. Il suggère d’ailleurs d’établir des seuils de rémunération raisonnable pour éviter que ces travailleurs soient constamment pris dans une course contre la montre pour toucher un salaire décent.

Pour en savoir plus

LACHAPELLE, Ugo, David CARPENTIER LABERGE, Marie-Soleil CLOUTIER, Lily RANGER. La multiplication des services de livraison à vélo et les problèmes de santé et de sécurité des cyclistes commerciaux : élaboration de bonnes pratiques, R-1098, 105 pages.

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