La danse des manutentionnaires

Par Maxime Bilodeau

12 octobre 2021

Une nouvelle étude de l’IRSST vise à combler le déficit d’informations disponibles sur les différentes stratégies de déplacement des pieds des manutentionnaires lors du transport de charges.

Les activités de manutention sont à l’origine de nombreuses lésions professionnelles au Québec. Selon la CNESST, de 2013 à 2017, la manipulation d’objets a représenté plus de 16 % de l’ensemble des troubles musculosquelettiques déclarés en milieu de travail. Une analyse approfondie révèle que sur les 75 921 blessures alors recensées – surtout au dos –, 30 063 se sont produites lors d’efforts excessifs pour soulever quelque chose, tandis que 13 148 sont attribuables à des efforts excessifs de maintien et de transport d’objets. Il y a donc lieu de s’intéresser à toutes les phases de la tâche de manutention, et non seulement à celle du soulèvement, qui est pourtant la cible de la majorité des mesures de prévention.

Cet angle mort fait l’objet d’un nouveau rapport de l’IRSST. André Plamondon, chercheur sénior à l’Institut, et ses collègues y décrivent le développement, la validation et l’application d’une méthode inédite d’évaluation des déplacements des pieds des manutentionnaires. « 700 caisses soulevées dans une journée, c’est 700 caisses déplacées. L’étude du placement des pieds permet de décrire comment le manutentionnaire s’y prend pour s’approcher des charges à soulever, puis bouger dans son environnement vers le lieu de dépôt », affirme-t-il. De fait, la littérature scientifique fournit peu d’information sur les différentes stratégies employées durant cette phase dite de transition.

Apprentissage automatique

En puisant dans une banque de données récoltées lors d’études antérieures, l’équipe de recherche a d’abord caractérisé les techniques de déplacements pédestres les plus communes des manutentionnaires. Le but de cette taxonomie : déterminer un vocabulaire pour décrire avec fidélité, en laboratoire, les différentes manières de se déplacer selon le degré d’expertise. « Nous avons par exemple constaté que les manutentionnaires novices bougent peu les pieds, contrairement aux experts qui donnent l’impression de danser avec les charges, illustre André Plamondon. Ils s’enlèvent de la trajectoire de la boîte à déplacer au lieu de la modifier chaque fois, donc de briser l’élan. »

Le groupe a ensuite proposé une méthode pour classifier et analyser automatiquement les placements des pieds sur la base de la préclassification d’un observateur, décrite ci-dessus. Le recours à cette approche, mieux connue sous le nom d’apprentissage automatique (ou machine learning), une branche de l’intelligence artificielle, est dans l’air du temps. Son usage tend effectivement à se répandre, notamment dans le domaine de la recherche en biomécanique. Cette étude de l’IRSST est néanmoins la première à s’intéresser au classement automatique des stratégies de placement des pieds par apprentissage automatique.

« L’observation visuelle des déplacements des pieds d’un manutentionnaire par un expert est fastidieuse. Recourir à l’intelligence artificielle pour automatiser cette analyse est synonyme de gains énormes de temps et de ressources », affirme André Plamondon. La méthode développée a d’ailleurs été mise à l’épreuve, d’abord dans une comparaison entre des observations réelles et celles que cette technique prédit. Puis, cette dernière a été déployée dans le contexte d’une étude expérimentale au cours de laquelle 15 manutentionnaires novices faisaient face à des conditions externes (hauteur, distance, masse et cadence) variables. Bien que préliminaires, les résultats ont été jugés encourageants.

Retombées

Cette étude a permis de générer de précieuses connaissances sur les stratégies de placement et de déplacement des pieds, aussi bien des manutentionnaires experts que novices. À moyen et à long termes, elles pourraient mener à la réalisation de nouvelles recherches en milieu de travail, dans le but de mieux documenter de tels déplacements pédestres des manutentionnaires dans des conditions de travail réelles. Surtout, des schémas caractéristiques jugés comme efficaces pour prévenir les blessures pourraient éventuellement être détaillés.

« On peut penser intégrer ces nouvelles notions aux programmes de formation en manutention, qui s’en trouveront ainsi bonifiés. En outre, l’aménagement des postes de travail des manutentionnaires pourrait être modifié ; la distance entre les lieux de prise et de dépôt semble avoir une influence significative sur la posture lors de la phase de transfert. Finalement, nous pourrions être en mesure de trancher certaines questions d’ordre fondamental. Par exemple, est-il mieux de déplacer une lourde charge avec une seule prise, ou de multiplier les déplacements avec des charges plus légères? Nous l’ignorons pour l’instant », conclut André Plamondon.

Pour en savoir plus

PLAMONDON, André, Antoine MULLER, Xavier-Robert LACHAÎNE, Jasmin VALLÉEMARCOTTE. Denys DENIS, Christian LARUE, Hakim MECHERI, Philippe CORBEIL.
Développement, validation et application d’une méthode quantitative pour évaluer les déplacements des pieds des manutentionnaires, R-1134-fr, 101 pages.
irsst.info/r-1134

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