Quoi de neuf en sécurité des machines?

Par Maxime Bilodeau

21 juin 2020

Été 2020, vol. 33/2

Les machines sont malheureusement à l’origine de nombreux accidents au Québec. En 2016, elles ont occasionné environ 2 500 lésions professionnelles, rapporte la CNESST. De ce nombre, près de 1 000 accidents ont lieu en moyenne chaque année lors de travaux sur des machines dont les énergies sont mal ou non contrôlées. L’IRSST a récemment publié deux rapports de recherche sur la sécurité des machines.

De 2010 à 2014, la CNESST a déploré annuellement quatre décès qui auraient pu être évités grâce à de meilleures connaissances sur le cadenassage et les autres méthodes de contrôle des énergies. Des machines mieux conçues, et ce, avant leur fabrication, pourraient également aider à prévenir des tragédies.

Du nouveau en cadenassage

L’IRSST, en collaboration avec Polytechnique Montréal, déploie une thématique de recherche sur le cadenassage depuis plus de dix ans. Une de ses plus récentes études, intitulée Bilan sur la pratique du cadenassage sur des machines industrielles (R-1073), s’inscrit dans cet effort.

« Nous nous sommes intéressés au cadenassage dans le secteur industriel, qui avait échappé à notre attention jusqu’à maintenant, souligne Yuvin Chinniah, chercheur, professeur et directeur du Département des mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal. La réglementation québécoise sur le cadenassage a été renforcée en 2016; il était à-propos de faire un état de la situation dans le milieu industriel », estime le chercheur.

L’équipe de Polytechnique Montréal et le chercheur Damien Burlet-Vienney de l’IRSST ont d’abord visité 14 entreprises québécoises triées sur le volet. Ils y ont mené des entrevues semi-dirigées avec des travailleurs et des membres de la direction, avant d’inspecter leurs installations et de collecter leur documentation relative au cadenassage. Lorsque c’était possible, ils ont aussi observé une simulation de procédure de cadenassage et de ses méthodes alternatives.

Ces entreprises avaient toutes en commun d’être dotées d’un programme de cadenassage. « Un préventionniste était à l’œuvre, des fiches étaient remplies, on a même noté l’implantation de bonnes pratiques, comme le recours à des voyants lumineux pour vérifier l’absence d’énergie dans les machines », mentionne Yuvin Chinniah.

Des lacunes et un outil

Si, de manière globale, les entreprises maîtrisaient les principes de base du cadenassage, certaines lacunes ont néanmoins été relevées. Par exemple, malgré la présence de fiches de cadenassage, les travailleurs ne les consultaient pas toujours. Autre exemple : les méthodes alternatives au cadenassage étaient encore peu comprises et lorsqu’elles l’étaient, l’analyse préalable des risques était absente ou incomplète.

« La réglementation permet de soustraire une machine au cadenassage sous certaines conditions, comme lorsqu’on a besoin d’énergie pour détecter certains défauts. Or, l’utilisation de ces autres méthodes nécessite une analyse des risques rigoureuse et structurée, ce qui n’était pas toujours le cas dans les entreprises visitées », raconte Yuvin Chinniah.

Dans un second temps, l’équipe a mis au point un outil d’audit d’autodiagnostic du cadenassage afin que les entreprises québécoises puissent auditer et améliorer leurs pratiques. Cet outil a été conçu au moyen des informations récoltées dans l’étude en question, mais aussi avec des résultats des recherches antérieures de l’IRSST et de Polytechnique Montréal. La CNESST et des ASP ont également été sollicitées.

Le nouvel outil a comme particularité d’instaurer une démarche de préparation préalable à l’audit de l’application du cadenassage, qui consiste notamment à s’assurer de la disponibilité du matériel nécessaire et de la conformité des fiches. « Cette démarche de préaudit est nouvelle : elle instaure l’idée qu’il faut minimalement respecter certains points avant d’aller de l’avant avec l’audit de la pratique du cadenassage », affirme le chercheur.

Yuvin Chinniah ne prétend toutefois pas que cet outil autodiagnostic soit universel. Au contraire : il invite les entreprises à l’adapter à leur réalité. « C’est un excellent point de départ qui vient combler un manque évident dans le secteur industriel, sans être une fin en soi », précise-t-il.

Une étude exploratoire

Au fil des années, l’IRSST a publié plusieurs études sur la sécurité des machines relativement à des aspects comme le cadenassage, l’analyse de risques et les pratiques des utilisateurs d’équipements. Or, il ne s’est jamais attardé aux pratiques des quelques 850 fabricants de machines présents au Québec.

« La Loi sur la santé et la sécurité du travail au Québec fait de l’élimination d’un phénomène dangereux un objectif prioritaire. Ce qu’on appelle la prévention intrinsèque représente un idéal : on élimine les zones de dangers, les angles rentrants, les pièces en mouvement des machines, etc. », explique Yuvin Chinniah.

Par définition, une machine déploie de l’énergie pour transformer des matières, ce qui rend souvent difficile l’atteinte de l’objectif de prévention à la source. Les fabricants s’évertuent donc à sécuriser et fiabiliser leur équipement. « C’est un aspect qui a été très peu étudié jusqu’à maintenant, tout comme leur relation avec les clients et les acheteurs ainsi que les normes auxquelles ils s’astreignent », indique Yuvinh Chinniah.

Afin de pallier ce manque de données probantes, le chercheur a mené une étude exploratoire, en collaboration avec le professeur François Gauthier et son équipe de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et la chercheuse Sabrina Jocelyn de l’IRSST. Leurs conclusions sont publiées dans le rapport Étude exploratoire sur les pratiques des fabricants de machines au Québec en lien avec l’intégration de la sécurité des machines dès leur conception (R-1082).

Une source d’inspiration

L’équipe de chercheurs a rencontré 52 répondants issus des équipes de conception de 17 fabricants québécois de machines industrielles. Outre leur spécialisation dans la conception et la fabrication d’équipements de production manufacturière, ces petites, moyennes et grandes entreprises différaient beaucoup entre elles. « En outre, l’échantillon est trop restreint pour en tirer des conclusions définitives », commente le chercheur. Malgré tout, les données recueillies permettent de dégager des tendances.

Dans l’ensemble, le constat est assez optimiste. La majorité des répondants sont conscients de la nécessité de bien identifier les dangers liés à l’usage de leurs machines et prennent les mesures adéquates pour mener une analyse de risques rigoureuse. De plus, tous les fabricants rencontrés installent des protecteurs sur leurs produits. Yuvin Chinniah a néanmoins été surpris par certaines pratiques de clients que les représentants des entreprises participantes ont relatées. « Selon les témoignages recueillis, des dispositifs de protection seraient parfois contournés par des acheteurs. Les fabricants témoignent d’une réelle volonté d’identifier des moyens pour empêcher ces altérations dès l’étape de la conception, mais ce n’est pas une mince tâche », regrette-t-il.

Un autre exemple frappant est la recherche du difficile équilibre entre les notions de sécurité et de coûts. « Le client tente souvent de minimiser la facture alors que le fabricant tient à garantir des produits sécuritaires. Pour trouver un terrain d’entente, certains fabricants vont jusqu’à faire signer des décharges lors de la vente de machines démunies de certains dispositifs de sécurité jugés cruciaux », relate Yuvin Chinniah. Il s’agit d’une pratique illégale en vertu de la réglementation.

Cette étude exploratoire démontre qu’il est possible de se conformer à de hauts standards de conception en matière de sécurisation des machines. Les auteurs invitent d’ailleurs les fabricants du Québec à s’inspirer des bonnes pratiques qui y sont détaillées. « Je ne suis pas prêt à dire que notre portrait est représentatif de la situation dans l’ensemble dans la province. Il faut plutôt le voir comme une occasion de se comparer pour s’améliorer », conclut le chercheur.

Pour en savoir plus

CHINNIAH, Yuvin, Damien BURLET-VIENNEY, Benyamin KARIMI, Barthélémy AUCOURT. Bilan sur la pratique du cadenassage sur des machines industrielles, R-1073, 101 pages.

CHINNIAH, Yuvin, François GAUTHIER, George ABDUL-NOUR, Sabrina JOCELYN, Barthélémy AUCOURT, Guy BORDELEAU. Étude exploratoire sur les pratiques des fabricants de machines au Québec en lien avec l’intégration de la sécurité des machines dès leur conception, R-1082, 100 pages.

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