Risques biologiques

Les défis des usines de biométhanisation

Par Laurie Noreau

19 février 2019

Les résidus de table bénéficient d’une deuxième vie grâce aux usines de biométhanisation. Toutefois, les travailleurs de ces milieux ne sont pas à l’abri de certains contaminants qui posent des risques pour leur santé, révèle une récente étude exploratoire de l’IRSST.

Contrairement au compostage, la biométhanisation se déroule sans oxygène et transforme les matières organiques putrescibles (MOP) en gaz ou en digestat pour l’épandage agricole. Ce processus comporte des effets indésirables. « Chaque fois que l’on manipule de la matière organique en grande quantité, cela entraîne la production de bioaérosols, de bactéries et de moisissures. Pendant le processus de méthanisation, il y a en plus une production de gaz : le méthane et l’hydrogène sulfuré (H2S) », explique Jacques Lavoie, chercheur à l’IRSST.

Des échantillons de l’air ambiant ont été prélevés dans deux usines de biométhanisation québécoises afin d’en vérifier les contaminants et leur concentration. Si le risque chimique s’est avéré pratiquement inexistant pour les travailleurs, le risque biologique, lui, était bien réel. Plusieurs microorganismes dépassaient les valeurs guides recommandées. Quant aux gaz, aucun n’outrepassait la valeur limite. Ils restent toutefois à surveiller et les usines sont encouragées à se doter de détecteurs : un pour le H2S, un gaz mortel, un autre pour l’ammoniac et un dernier pour le monoxyde de carbone, dans les cas où elles utilisent des chariots élévateurs fonctionnant au gaz propane.

Parmi les microorganismes qui présentent un risque pour les travailleurs d’une usine de biométhanisation, notons la bactérie Saccharopolyspora rectivirgula, trouvée dans la zone d’entreposage, ainsi que Mycobacterium non tuberculeuse. Le diamètre des particules a aussi soulevé l’inquiétude des chercheurs : la dimension de plusieurs microorganismes était inférieure à 5 microns, une taille telle que les travailleurs peuvent aspirer les particules, qui pénétreront profondément dans leur système respiratoire.

Les moisissures détectées étaient semblables à celles que l’on trouve fréquemment dans les usines qui traitent des déchets, comme Aspergillus et Penicillium. Ces dernières ne sont pas sans risque pour la santé des travailleurs et peuvent entraîner une irritation ou une inflammation aiguë de la peau et des voies respiratoires. Comme le personnel des centres de biométhanisation est exposé quotidiennement à ces particules, un équipement de protection respiratoire et cutané est recommandé.

Quant aux contaminants chimiques, les concentrations calculées se sont avérées bien au-dessous des valeurs limites d’exposition recommandées.

Des zones critiques

Le rapport a permis de mettre en lumière les postes de travail qui présentent un risque accru de contamination. En effet, les travailleurs sont particulièrement exposés lors de la réception et du prétraitement des matières putrescibles. Pendant l’étape du prétraitement, les déchets sont broyés et arrosés d’eau pour créer une soupe qui sera déversée dans un bioréacteur. La préparation de ce mélange expose les travailleurs à des contaminants biologiques.

Pour diminuer l’exposition aux aérosols, le chercheur spécialiste en hygiène industrielle, Jacques Lavoie conseille d’ailleurs de traiter les matières organiques dans les 24 heures suivant leur réception. Sinon, cela crée une fermentation qui entraîne la production de bactéries. « Idéalement, on ne devrait pas accumuler les déchets dans les zones de réception. Il faut faire la manipulation le plus tôt possible pour charger le bioréacteur et éviter les vapeurs », recommande-t-il.

Puisqu’ils manipulent de la matière organique fraîche, les travailleurs de ces zones sont particulièrement ciblés par la mise en place d’un programme de protection respiratoire.

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Photo : IRSST

Deux usines de biométhanisation ont participé à cette recherche. L’une d’elles opérait à des températures entre 35 et 40°C et utilisait comme substrats des matières organiques putrescibles (mop) d’origines résidentielle, commerciale et agroalimentaire ainsi que des boues d’épuration d’eaux usées. L’autre usine fonctionnait à des températures d’environ 55 °C et procédait exclusivement avec des MOP d’origine résidentielle.

Usines en rodage

La biométhanisation connaît une forte croissance au Québec. Néanmoins, elle n’en est qu’à ses débuts, si bien que les deux usines observées ne fonctionnaient pas à plein régime lorsque les concentrations ont été mesurées. « Les usines étaient encore en rodage, constate le chercheur. On peut donc supposer que les expositions seront plus élevées lorsque la quantité de déchets manipulés sera plus importante. »

Comme ces usines traitent les mêmes matières que les usines de compostage, les bioaérosols qu’on y trouve sont pratiquement identiques. Toutefois, leur concentration était moindre dans les usines de biométhanisation. Encore une fois, puisque celles-ci ne fonctionnaient pas à plein régime, il est possible que les concentrations calculées diffèrent de la réalité, estime Jacques Lavoie. Le chercheur atteste qu’il serait pertinent de mesurer à nouveau ces contaminants, maintenant que les lieux sont pleinement exploités.

Le cycle des saisons

Les saisons se suivent, mais ne se ressemblent pas dans les usines de biométhanisation. Alors que les microorganismes cessent de proliférer lorsque la température descend sous le point de congélation, elles se multiplient rapidement en été. La concentration de moisissures et de bactéries devrait donc logiquement être plus élevée en été qu’en hiver. Pourtant, c’est tout le contraire qui se produit. Dans l’une des usines, les concentrations de particules se sont avérées plus élevées en hiver.

Un changement d’air insuffisant pourrait expliquer la situation. En effet, durant la saison hivernale, les portes des usines sont souvent closes pendant que les camions déversent leur chargement et que les chariots élévateurs circulent, emprisonnant les vapeurs à l’intérieur des murs. De plus, si les matières organiques ne sont pas traitées dans un délai raisonnable, la décomposition se met en route, augmentant du coup la concentration de bactéries dans la zone de réception.

Alors que les principaux microorganismes présents ont été identifiés à chacune des étapes du processus, il reste à déterminer si les travailleurs développent des troubles respiratoires liés à l’exposition quotidienne à ces bioaérosols. « À partir de cela, on pourrait mettre en place des mesures de contrôle plus adéquates pour protéger leur santé », suggère Jacques Lavoie.

Pour en savoir plus

BAKHIYI, Bouchra, Geneviève MARCHAND, Yves CLOUTIER, Yves BEAUDET, Marc VEILLETTE, Marie-Ève DUBUIS, Hamza M’BARÈCHE, Joseph ZAYED, Caroline DUCHAINE, Jacques LAVOIE. Exposition des travailleurs aux substances chimiques et aux agents biologiques dans les usines de biométhanisation des matières organiques putrescibles — Évaluation exploratoire, R-1023, 98 pages.
Conférence de Jacques Lavoie sur le sujet

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